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ETHNOLOGIE Ethno-esthétique

Fonctionnalisme ethnologique et esthétique fonctionnelle

Ces défauts sont restés voilés ; de rares études de terrain ne les dénonçaient pas et une équivoque théorique les protégeait. Car tout se passe comme si l'esthétique fonctionnelle des architectes modernes et du design avait fourni au fonctionnalisme ethnologique l'esthétique qui lui manquait. Ces deux courants convergent objectivement. Ils accordent une même importance méthodologique à la notion de fonction. Il en résulte une même conception de la relation de l'art à ce qui n'est pas l'art, une réduction du fait artistique. L'esthétique fonctionnelle entend réunir utilité et beauté, fonction et qualité esthétique. Mais cette intention répond à une situation historique et sociale particulière (H. Read) : le développement de la production industrielle et de la création artistique qui consomme la séparation de l'utile et du beau, de la technique et de l'art. Dans une perspective historique, cette dissociation n'est pas la règle mais l'exception, unique, de la civilisation occidentale depuis la Renaissance. Il s'agit donc de restaurer l'unité perdue, la règle suivie par l'Occident médiéval et par les sociétés non occidentales. Or l'ethnologie montrait que l'art, dans les sociétés traditionnelles, non seulement n'est pas dissocié de la technique (qui ne se présente pas elle-même isolée), mais est encore fonctionnellement lié aux autres formations culturelles. L'esthétique fonctionnelle pouvait ainsi passer pour l'esthétique implicite des sociétés primitives. Le concept, ethnocentrique, d'un art gratuit et formel était ainsi évité.

Était aussi récusé le concept d'un art pur, ayant sa fin en lui-même, se séparant effectivement de ce qui n'est pas l'art, visant et opérant sa purification. Mais la question prend alors une forme plus générale : quelle est, dans les arts fonctionnels, non purs, la relation de l'élément artistique aux autres éléments (techniques, magico-religieux, économiques, politiques, etc.) ? Cette question admet plusieurs réponses, variant avec les sociétés considérées. Pour les arts primitifs, c'est à l'enquête sur le terrain de les fournir. L'esthétique fonctionnelle ne peut, au mieux, qu'être tenue pour la meilleure des réponses convenant à un contexte socio-historique caractérisé par le développement absolument inédit d'une technique scientifique et industrielle. Dans les autres contextes culturels, l'élément technique ne prend jamais cette forme industrielle ; l'esthétique fonctionnelle n'est donc pas une réponse pertinente.

Enfin, la détermination même de la forme par des conditions non artistiques prend un aspect scientifique et technique, engage un type de rationalité (comme le montre le terme de rationalisme, utilisé hors de France) qui est précisément celui de la technique industrielle. Mais, si ce mode de détermination convient à un objet purement technique, il ne convient plus à un objet dans la fonction duquel interviennent des valeurs symboliques et dont l'usage est lié au rite (C. Le Coeur, Le Rite et l'outil, 1939). C'est pour cette raison que, dans les commentaires, le discours fonctionnaliste et le discours esthétique restent dissociés.

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, maître assistant à l'université de Rennes (U.E.R. de philosophie).

Classification

Pour citer cet article

Lucien STÉPHAN. ETHNOLOGIE - Ethno-esthétique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • AFRICAINS CINÉMAS

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    L'histoire des cinémas africains se sépare difficilement de celle de la décolonisation. Il y eut d'abord des films de Blancs tournés en Afrique. Puis, à partir des années soixante, les nouveaux États africains ont été confrontés au problème de savoir quel rôle, quelle orientation, quels...

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