Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ÉRASME (1467 env.-1536)

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Entre les Pays-Bas et Bâle : la rançon de la gloire

Toujours en quête d'un lieu de résidence propice à la fois à ses recherches savantes, à sa tranquillité, à ses intérêts (politiques, éditoriaux et même matériels), Érasme rentre d'Angleterre en juillet 1514, emportant avec lui de nombreux manuscrits. Il rentre, si l'on peut dire, au bercail, c'est-à-dire les Pays-Bas du Sud, où il fait à nouveau connaissance avec l'université de Louvain. Mais, désireux de rencontrer le grand imprimeur Froben, il se rend, vers la fin du mois d'août, à Bâle, où il est accueilli comme la « lumière du monde » et « l'ornement de la Germanie ». Il prépare chez Froben son programme éditorial, à commencer par la traduction nouvelle de la Bible, et bientôt confie à l'imprimeur bâlois le monopole de ses publications. Son installation à Bâle lui permettra de surveiller la composition de ses œuvres, d'intervenir en cours d'impression, d'exercer, au sein de cette grande ville universitaire qui est un carrefour d'échanges de toute nature, un véritable imperium éditorial, tout en profitant de la compétence d'hommes attachés à cette entreprise familiale, tels l'helléniste Beatus Rhenanus et l'hébraïsant Œcolampade. Après un court voyage en Angleterre, il retourne, au début de 1516, dans les Pays-Bas méridionaux, comme conseiller du duc Charles, devenu roi d'Espagne à la mort de Ferdinand. Érasme met alors son pacifisme au service de son maître, d'autant plus que la conjoncture politique semble favorable à une entente entre la France, l'Espagne et l'Empire. C'est aussi pour lui l'occasion de publier des essais politiques, tels que l'Institution du prince chrétien (mars 1516) – traité qui contraste violemment avec Le Prince de Machiavel – ou l'adage Dulce bellum inexpertis. Mais, encouragé par le Vatican à poursuivre son œuvre d'humaniste chrétien, il publie à Bâle son Nouveau Testament, tout en subissant à Louvain l'hostilité des théologiens réactionnaires, qui condamnaient hellénistes, hébraïsants et nouveaux exégètes partisans du recours direct à l'Évangile. Il se rend souvent à Bruxelles, où réside la cour, à Anvers, chez son ami Gilles, syndic de la ville, à Gand et dans la campagne d'Anderlecht. Il refuse en février 1517 les offres flatteuses de François Ier, qui lui propose de venir résider en France. Libéré en avril de ses dernières obligations de moine, il envisage son avenir avec sérénité, convaincu de sa valeur propre et de son prestige en Europe.

Mais, à la suite de l'affichage des 95 thèses du moine Luther contre les indulgences, la position intellectuelle et spirituelle d'Érasme, son engagement sur la voie d'une réforme de l'Église romaine, l'influence qu'il exerce à travers toute l'Europe sur les milieux humanistes et dans le monde des clercs ne lui permettront pas de rester bien longtemps en dehors du tumulte déclenché à Wittenberg. D'autant moins que, dans les débuts de son action, Luther présente Érasme comme son maître spirituel et l'enrôle malgré lui sous sa bannière. Celui-ci approuve, de son côté, la plupart des reproches que Luther adresse à la cour pontificale, lieu d'intrigues et de perdition ; aux moines, dont l'ignorance et les mœurs grossières défigurent le christianisme ; aux prélats, plus fervents de politique que d'évangélisme ; aux simples fidèles, plus soucieux d'œuvres prétendues pies que de foi véritable. L'avenir contraindra Érasme à préciser ses positions philosophiques et théologiques, quand les chefs respectifs des deux camps le sommeront de s'expliquer.

Après avoir hésité à accompagner la cour de Charles Quint en Espagne, il décide de rester à Louvain. Il y passera quatre ans (de[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours

Classification

Pour citer cet article

Jean-Claude MARGOLIN. ÉRASME (1467 env.-1536) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

<it>Portrait d'Érasme</it> - crédits : Photos.com/ Jupiterimages

Portrait d'Érasme

Autres références

  • ÉLOGE DE LA FOLIE, Érasme - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 816 mots
    • 1 média

    Conçu en 1509 et rédigé en latin la même année par Érasme (1467 env.-1536) à son retour d'Italie, dédié en 1510 au juriste anglais Thomas More (futur auteur de l'Utopie, 1516), imprimé pour la première fois à Paris en 1511 sous le titre Encomium Moriae, puis enrichi dans plusieurs...

  • BATAILLON MARCEL (1895-1977)

    • Écrit par
    • 1 154 mots

    Marcel Bataillon était le fils du grand biologiste Eugène Bataillon, créateur de la parthénogenèse traumatique, dont Robert Courrier a pu dire qu'analyser son œuvre, c'était côtoyer le génie. Né à Dijon, au hasard de la carrière universitaire de son père, mais d'ascendance composite (franc-comtoise,...

  • BUDÉ GUILLAUME (1468-1540)

    • Écrit par
    • 2 841 mots
    ...Cette espérance parut se concrétiser lorsque, dans l'entourage du roi, se forma le projet de fonder à Paris un collège trilingue et d'appeler à sa tête Érasme qui était alors au sommet de sa gloire. Des négociations furent entreprises par l'évêque de Paris, Étienne Poncher, cousin de Guillaume Budé ;...
  • CAPITON WOLFGANG FABRICIUS KÖPFEL dit (1478-1541)

    • Écrit par
    • 308 mots

    Collaborateur de Bucer, Capiton est plus un savant qu'un homme d'Église. Il a fait des études solides de médecine, de droit (à Ingolstadt) et de théologie (à Fribourg-en- Brisgau). Trois fois docteur, il devient en 1515 prédicateur à la cathédrale de Bâle et professeur de théologie à l'université....

  • CULTURE - Culture et civilisation

    • Écrit par
    • 14 361 mots
    • 2 médias
    ...Calvin, Montaigne, Kepler enfin. En référence à Dante un fait domine : au modèle théologique du De monarchia a succédé un modèle proprement politique. Érasme songe apparemment à Machiavel, lorsqu'il écrit dans son Institutio principis christiani (1540) que la « civilité, ou que ce soit, ou bien...
  • Afficher les 20 références