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SWEDENBORG EMANUEL (1688-1772)

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Le théosophe

Le Livre des rêves (Drömboken), seule œuvre qu'il ait jamais écrite en suédois, consigne, en style quasi pascalien, la grande illumination de 1743, celle qui va donner un sens définitif à sa vie : « Le Seigneur se révéla à moi, son serviteur, en l'an 1743, et m'ouvrit les yeux sur le monde spirituel. Il me prêta alors et jusqu'à ce jour [1745] le pouvoir de communiquer avec les esprits et les anges. Dès lors, je fis publier les divers arcanes qui m'ont été manifestés et révélés. En outre, sur d'autres sujets importants pour le salut et la sagesse des hommes... » Cet esprit hautement scientifique, cet inventeur de machines et cet observateur du réel ne va plus s'intéresser qu'à l'âme et à la mystique, au monde invisible du spirituel, où, fidèle à lui-même, il va s'efforcer d'introduire quelque système. Une tradition quelque peu entachée de légende voudrait qu'un soir de 1745, dans une auberge de Londres, une vision du Christ soit venue le confirmer dans ce qu'il prendra aussitôt pour sa mission : explorer et décrire le monde suprasensible, être le prophète du Seigneur. Il va consigner ses rêves pour s'entraîner à commercer avec les esprits. Voici donc, dès 1745, l'extraordinaire De cultu et amore Dei, commentaire saisissant de la Genèse selon une méthode qui s'attache à représenter l'ineffable à partir des principes dont l'auteur s'était autrefois inspiré pour analyser le réel. Visible-invisible, naturel-surnaturel, ce sont catégories floues : ce qui est intéressant, c'est ce mouvement d'approche de l'un par des moyens pris à l'autre, cette abolition des différences (des distances) par confusion délibérée des signes.

Il s'attache donc à transcrire ses visions, puis à les mettre en ordre, enfin à les exposer en un tout cohérent, dans des écrits essentiellement théologiques. Le Seigneur « dans sa bonté, a ouvert mon intelligence de façon qu'elle puisse voir le ciel et l'enfer, et savoir quelle est leur nature ». Ce seront donc les Arcana cœlestia (8 vol., Londres, 1749-1756), des manuels comme L'Apocalypse révélée (1785-1789), Le Dernier Jugement, La Nouvelle Jérusalem (1758) et De divino amore et de divina sapientia (1763). Ces ouvrages, pour mystiques qu'ils soient, sont de lecture facile : Swedenborg entendait édifier une histoire naturelle du monde surnaturel, strictement identique dans son principe à celle qu'il avait écrite autrefois de notre univers visible. Le thème fondamental en est que les deux mondes, le naturel et le spirituel, se correspondent étroitement. Il l'a dit dans De cœlo et de inferno (1758) : « Correspondance de toutes les choses du ciel avec toutes celles de l'homme. »

Il est maintenant célèbre dans toute l'Europe : en 1766, par exemple, Kant publie les Songes d'un visionnaire expliqués par les songes de la métaphysique. Et 1768 voit la publication de l'œuvre la plus célèbre du suédois : De amore conjugiali (dans la traduction de Le Boys des Guays : Les Délices de la sagesse par l'amour conjugal), ouvrage qui inspirera à Balzac son Séraphita et son Louis Lambert et qui contient celles des idées de Swedenborg qui auront la plus féconde postérité : la vie conjugale se prolonge au-delà de l'existence terrestre : les correspondances visible-invisible (un des grands thèmes de Baudelaire) dictent et justifient toutes choses, établissent des relations entre ange et être humain, développent tout un système de « doubles » dont l'union, la réunion tend éperdument à se réaliser, etc.

Toutefois, et nul n'étant prophète en son pays, le succès même de Swedenborg va finir par lui porter ombrage. Le 22 mars 1769, l'Église officielle de Suède le déclare hérétique : il a, en effet, annoncé la fin de l'Église[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. SWEDENBORG EMANUEL (1688-1772) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • ALMQVIST CARL JONAS LOVE (1793-1866)

    • Écrit par
    • 1 112 mots

    Le romantisme suédois présente, d'emblée, une physionomie originale. Il évite les excès du mysticisme allemand, ne donne qu'avec prudence dans le nationalisme scandinave et reste fidèle à la tendance suédoise profonde au réalisme. En même temps, son style demeure soumis aux exigences de clarté et...

  • BALZAC HONORÉ DE (1799-1850)

    • Écrit par
    • 15 001 mots
    • 3 médias
    Une semblable orientation pousse Balzac vers Swedenborg, le théosophe suédois que lui avait révélé Édouard Richer ; il ne devient pas théosophe à la suite de Swedenborg, mais il rencontre en lui un même souci de découvrir les causes dernières et de percevoir l'unité du grand et du petit, de l'origine...
  • ILLUMINISME

    • Écrit par
    • 4 970 mots
    ...ébranler le matérialisme et s'inscrire à l'intérieur d'une foi, qui se fait accueillante aux visions. Kant lui-même s'intéresse aux phénomènes de voyance de Swedenborg ; les rois et les princes se tournent avec curiosité vers les sciences occultes. Sectes, loges, confréries se multiplient dans toute l'Europe....
  • LOUIS LAMBERT, Honoré de Balzac - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 332 mots
    • 1 média
    ...prométhéen : non pas comme Faust la quête de l'éternelle jeunesse, mais celle d'une transcendance, d'un état supérieur de l'humain. Tout comme Balzac lui-même, Louis a fait sienne la théorie du philosophe Swedenborg selon laquelle « il y aurait en nous deux natures distinctes ». Ainsi...
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