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DON

L'hypothèse structuraliste

En somme, les corrections et critiques apportées aux analyses de Mauss consisteraient à réinsérer dans la structure et l'histoire propre des groupes des institutions qui en ont été artificiellement isolées et qui s'inscrivent, en fait, dans des procès sociaux d'échange. Une mise en perspective de toutes ces critiques pourrait être l'importante préface de Lévi-Strauss à l'« Essai sur le don », où, saluant en Mauss un précurseur du structuralisme, il lui reprochait de n'être pas allé au terme de ses intuitions. Mauss n'aurait vu que des transferts plus ou moins aléatoires et ne serait pas parvenu à élucider la structure d'échange qui, au-delà de ses manifestations fragmentaires – donner, recevoir, rendre –, organise au fond les processus sociaux.

Mais cette tentative de rendre compte de l'universalité du code des dons échangés par un principe de réciprocité conduit à restreindre le champ de l'analyse aux relations paritaires. Car Lévi-Strauss pense avant tout à l'échange des femmes, un « bien » d'un type très particulier en ce qu'il est, quoi qu'on pense par ailleurs, parfaitement interchangeable. Privilégiant les échanges à l'identique et les simples permutations où la relation prime le contenu, écartant les dimensions agressives ou inégalitaires des phénomènes, il conclut, dans une envolée : « L'échange des fiancées n'est que le terme d'un processus ininterrompu de dons réciproques, qui accomplit le passage de l'hostilité à l'alliance, de l'angoisse à la confiance, de la peur à l'amitié » (Les Structures élémentaires de la parenté, p. 79, 1967).

Il n'est pas surprenant que Mauss ait inspiré, à peu près à la même époque, une lecture symétrique et inverse, mais tout aussi fondée en bonne métaphysique : celle de Georges Bataille, qui invoque Sade et non plus Rousseau et qui voit, dans les affrontements et les dissipations de biens des Kwakiutl, le symbole de cette « part maudite », centre de son économie politique où l'excédent rejoint l'excès.

Ainsi, à vouloir une explication unifiée, on doit se résoudre à en trouver deux, impeccablement antinomiques. D'où une aporie bien propre à l'anthropologie philosophique : l'homme est-il bon (ou méchant) ? Question sérieuse, en effet, mais qui ne saurait faire l'objet d'une investigation scientifique et moins encore d'une argumentation décisoire.

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Écrit par

  • : maître assistant à l'École des hautes études en sciences sociales

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Pour citer cet article

François POUILLON. DON [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Autres références

  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER, Christian GHASARIAN
    • 16 158 mots
    • 1 média
    ...question par les descriptions de Boas sur le potlatch des Indiens Kwakiutl de la côte nord-ouest des États-Unis (The Kwakiutl of Vancouver, 1909). Système de dons et de contre-dons de richesses accumulées – dons et contre-dons par lesquels le donateur gagne prestige et statut social tandis que le...
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    ...de compétition et d' échange que l'ethnologue découvrait maintenant à chaque pas en Afrique, en Asie, en Océanie se présentaient le plus souvent comme des dons et contre-dons et s'achevaient parfois dans la destruction ostentatoire de richesses dont l'accumulation avait exigé bien des efforts et de la...
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    La science économique a longtemps revendiqué avec succès le monopole légitime de l’analyse des biens. Dans sa version dominante, elle rend compte de la production et de l’appropriation d’un bien privé, qu’il s’agisse d’une tomate ou d’un soin dentaire, en suivant les règles d’une institution,...

  • CONTRAT

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    On qualifie de « gratuite » (ou « à titre gratuit ») l'opération par laquelle une seule partie consent un sacrifice, c'est-à-dire procure à l'autre un avantage, sans rien recevoir en retour. Plus spécialement, lorsque le sacrifice (ou l'avantage, selon le point de vue auquel on se place)...
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