CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ
L'intention discriminatoire
L'intention peut être prise en considération de deux façons différentes. Tantôt, en se plaçant du côté de l'auteur de l'acte, on recherche son mobile. Tantôt on se place du côté des destinataires de l'infraction et l'on recherche l'appartenance des victimes à un groupe visé en tant que tel.
L'intention de l'auteur
Du côté de l'auteur, l'application d'une doctrine d'exclusion systématique d'un groupe, par exemple l'antisémitisme, situe le crime imprescriptible dans sa filiation idéologique. L'extermination des Juifs ne fut pas une flambée de violences, elle a été doctrinalement préconisée, techniquement préparée, systématiquement perpétrée.
Deux aspects de ce mobile permettent d'affiner le concept et de dégager la spécificité du crime contre l'humanité par rapport à d'autres infractions voisines.
D'une part, le crime contre l'humanité relève d'une politique planifiée. On sait que le jugement de Nuremberg fut à cet égard en retrait par rapport à l'acte d'accusation. Ce dernier visait, comme premier chef d'accusation, le plan concerté ou le complot qui avait pour objet de « commettre des crimes contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ». Mais le tribunal de Nuremberg a donné une interprétation restrictive de l'acte d'accusation et a rejeté la théorie du complot sur ce point. En revanche, la jurisprudence postérieure a confirmé l'exigence d'une composante programmatique. Le crime exprime un dessein, il traduit un calcul, il révèle une préméditation politique, idéologique ou dogmatique.
D'autre part, cette politique doit être celle d'un gouvernement. Cette participation des plus hautes instances de l'État à l'orchestration des exactions demeure encore largement pertinente dans la jurisprudence du TPIY et du TPIR Ainsi, à propos des faits commis par les Serbes en Bosnie, le TPIY souligne bien que « leur commission se répète selon un schéma identique [...] ils sont planifiés et préparés à un niveau étatique. Ils paraissent avoir une fonction commune, qui est de permettre la constitution de territoires „ethniquement purs“ et de créer par là un nouvel État ». Mais, en même temps, la jurisprudence donne de cette condition une interprétation souple qui dépasse l'exigence d'une intervention purement étatique directe. Ainsi, dans l'affaire Tadic, la Cour a retenu l'argument de l'accusation qui avait souligné que « les crimes contre l'humanité peuvent être commis pour le compte d'entités exerçant un contrôle de facto sur un territoire particulier mais sans la reconnaissance internationale ou le statut juridique officiel d'un État de jure, ou par un groupe ou une organisation terroriste ».
La nécessité d'un rattachement du crime à une politique planifiée implique donc de déterminer d'abord l'existence de celle-ci. Or la pratique a montré que, confronté à cette nécessité, le juge est parfois conduit à effectuer quelques contorsions, notamment lorsqu'il est amené à devoir apprécier la nature criminelle d'une politique qui fut appliquée dans l'État dont il est lui-même ressortissant. On sait comment, dans l'affaire Touvier, la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris – dans une décision de non-lieu vivement critiquée, rendue en deux cents pages le 13 avril 1992 – ne lui avait pas appliqué la définition des crimes contre l'humanité pour les actes commis au nom du gouvernement de Vichy qui, selon elle, n'était pas un État pratiquant une « politique d'hégémonie idéologique ». La Cour de cassation, quant à elle, a préféré considérer que les actes de Touvier ont été exécutés « à[...]
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Écrit par
- Mario BETTATI : professeur de droit international à l'université de Paris-II-Panthéon-Assas
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