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CORPS (notions de base)

Durant plus de deux millénaires, dans le monde occidental, le corps n’a guère fait l’objet de réflexions philosophiques si ce n’est de façon négative, en tant qu’entité faisant obstacle aux intentions de l’âme. La religion orphique (liée au culte ésotérique d’Orphée), très présente dans la Grèce antique, considérait même le corps comme le « tombeau de l’âme ». Platon (env. 428-env. 347 av. J.-C.) nous fournit de précieuses indications sur cette tradition sans qu’on puisse réellement savoir jusqu’à quel point lui-même y adhérait. Quelle que soit la proximité entre le philosophe et la religion orphique, on retiendra de lui l’idée – affirmée dans le dialoguePhédon – qu’il faut « mourir au sensible », et que la nécessité de rompre le plus possible avec les exigences du corps constitue la condition principale de l’accès de l’âme au Vrai – assertion qu’il développe, entre autres, dans La République.

Dans son dialogue permanent avec Platon, Friedrich Nietzsche (1844-1900) réfute à d’innombrables reprises les thèses platoniciennes en faisant de l’âme la source de toutes nos erreurs. Il ironise ainsi dans Le Crépuscule des idoles (1888) : « Et surtout, que l’on ne vienne pas nous parler du corps – cette pitoyable idée fixedes sens ! – entaché de toutes les fautes logiques imaginables, récusé, et même impossible, malgré l’impertinence qu’il a de se comporter comme s’il était réel !... » Ne peut-on cependant envisager, entre les positions antagonistes de Platon et de Nietzsche, des approches capables de redonner sa place au corps sans nier pour autant l’existence et la valeur de l’esprit ?

Le corps animé

En concevant l’âme comme le « moteur » du corps, comme la source de son « animation » (anima, en latin, qui signifie « âme », a donné le français « animation »), Aristote (env. 385-322 av. J.C.) cherche à réfuter l’idéalisme de son maître Platon. Il fait « éclater » la notion d’âme en la considérant comme plurielle : si l’âme anime le corps vivant dans ses différentes activités, les principes d’animation qu’on regroupe sous ce nom meurent donc avec lui, le cadavre étant l’image même de l’inanimé.

Sans doute une partie de l’âme, qu’Aristote nomme l’« âme intellective », survit-elle au corps. Cette partie éternelle de l’âme, parfaitement anonyme, rejoint la source d’animation de l’Univers, le « premier moteur immobile », qui met en mouvement le cosmos. Mais ses autres parties, l’« âme végétative », qui nous est commune avec les végétaux et qui préside aux fonctions élémentaires du corps, l’« âme sensitive » qui gère nos sensations et l’« âme motrice » par laquelle le corps peut se déplacer, âmes que nous partageons avec les animaux, meurent toutes avec le corps.

Cette conception aristotélicienne des rapports de l’âme et du corps, que le combat de René Descartes (1596-1650) contre la philosophiescolastique, jugée par lui excessivement prisonnière des thèses d’Aristote, va faire un temps sombrer dans l’oubli, nous apparaît aujourd’hui d’une grande modernité. En considérant l’âme comme le moteur du corps, Aristote unifie les corps vivants qui fonctionnent tous de la même manière. C’est précisément cette unité du vivant, qui est niée par Descartes parce qu’elle interdit une approche scientifique des corps.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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Philippe GRANAROLO. CORPS (notions de base) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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