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CONTE

L'horizon d'une attente

Le conte traditionnel est inséparable de la communauté dans laquelle il s'inscrit : « Ce qui est premier, écrit Max Lüthi, c'est le besoin intérieur du conte que ressentent ceux qui le créent, ceux qui le cultivent et ceux qui l'entendent. » À cette notion un peu vague de « besoin intérieur », on préférera celle de « fonction textuelle » (rôle joué par le texte dans le système social) et la typologie des fonctions que proposent Daniel Fabre et Jacques Lacroix.

Le texte oral ne peut, en effet, se définir que dans un réseau de fonctions dont l'importance varie selon le récit, le public et l'époque considérés. Les témoignages contemporains privilégient surtout la dimension ludique du conte. Dans les sociétés traditionnelles, l'activité narrative est une forme privilégiée du loisir, encore qu'elle s'accompagne souvent d'un travail accompli pendant le temps du contage (dentelle, tricot, vannerie, écalage des noix, etc.). Parmi les diverses sortes de jeux que combine l'activité narrative, la compétition paraît être surtout sensible dans les veillées où il n'y a pas de grand conteur. L'imitation prévaut dans les mimologismes, ces brefs récits qui suggèrent une interprétation amusante des chants d'oiseaux et des cris d'animaux, tel ce dialogue autour d'un fermier endetté : « La caille chante : Paye tes dettes ! Paye tes dettes ! La perdrix : Payera-t-i ? Payera-t-i ? La pintade : Peut-être. Peut-être. L'oie : J'paierons, j'paierons. Les canards : Quand, quand, quand, quand. Le mouton : Jamais. »

On conte donc, c'est vrai, pour jouer, pour rire ensemble. Mais si cette fonction ludique existe, tout particulièrement dans les mimologismes et les contes facétieux, elle n'avait probablement pas, dans la hiérarchie culturelle traditionnelle, l'importance que nous lui accordons aujourd'hui : nous plaçons commodément sous le signe du divertissement des textes dont le sens et les résonances nous échappent. Une autre réduction fréquemment opérée, cette fois pour les contes merveilleux, consiste à exalter leur dimension esthétique, ce qui marque bien notre distance par rapport à ces « belles histoires » issues d'un « vieux vieux temps ». Comme le soulignent Daniel Fabre et Jacques Lacroix, « le texte, devenu le plus étranger par son contenu, suscite une adhésion esthétique de substitution ».

Or le conte traditionnel ne se définit pas seulement par le plaisir du jeu ou le désir du Beau. Il est aussi l'expression d'une mémoire anonyme et collective qui joue sur différentes modalités du temps : le temps mythique, celui des origines, radicalement coupé du nôtre (« C'était au temps où les bêtes parlaient »), le passé indéfini du conte merveilleux (« Il était une fois »), le temps historique, mais d'une histoire intermittente qui laisse dans l'ombre des siècles entiers pour isoler des faits saillants (en Auvergne, le passage de Mandrin par exemple), le temps familial qui inscrit le récit dans une généalogie parfois fictive (« Le grand-père de mon grand-père de mon grand-père... »), le temps personnel, enfin, évocation mélancolique de la jeunesse du récitant (« De mon temps, les filles étaient sages, les arbres portaient plus de fruits », etc.). Quelles que soient les modalités choisies, le temps du conte a ses lois propres : le héros construit un palais en une nuit, la princesse dort pendant cent ans.

Le récit oral remplit aussi une fonction d'information. Celle-ci est bien sûr appauvrie, amplifiée, déformée d'un relais à l'autre puisqu'elle est soumise aux errances de la mémoire et aux mouvances de la parole. La narration se donne alors comme vraie, bien qu'on ne puisse jamais remonter à la source de l'information. Dans un univers familier, balisé,[...]

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Pour citer cet article

Bernadette BRICOUT. CONTE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Les frères Grimm - crédits : General Photographic Agency/ Hulton Archive/ Getty Images

Les frères Grimm

Geneviève Calame-Griaule - crédits : D.R.

Geneviève Calame-Griaule

Autres références

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures

    • Écrit par Jean DERIVE, Jean-Louis JOUBERT, Michel LABAN
    • 16 566 mots
    • 2 médias
    ...genres dans des systèmes particuliers. Ainsi, en termes de genres narratifs de fiction par exemple, la nomenclature wolof distinguera plusieurs sortes de contes selon qu'ils ont une chute comique (mayé) ou non (leeb). Chez les Dioula, les contes se disent ntalen, mais s'ils se terminent par une ...
  • AKINARI UEDA (1734-1809)

    • Écrit par René SIEFFERT
    • 1 274 mots
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    Pour la postérité, Akinari est avant tout l'auteur des Contes de pluie et de lune (Ugetsu-monogatari). Dans ces neuf Contes fantastiques de jadis et naguère, il rompait délibérément avec le style et la manière des ukiyo-zōshi inaugurés au siècle précédent par Saikaku, et auxquels il...
  • ALCRIPE PHILIPPE LE PICARD dit PHILIPPE D' (1530/31-1581)

    • Écrit par Françoise JOUKOVSKY
    • 355 mots

    Moine normand de l'abbaye cistercienne de Mortemer, dans la forêt de Lyons, Philippe d'Alcripe semble avoir suscité la défiance de ses confrères par une activité littéraire jugée peu sérieuse : c'est en effet l'auteur de La Nouvelle Fabrique des excellents traicts de vérité...

  • ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, Lewis Carroll - Fiche de lecture

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    Les Aventures d'Alice au pays des merveilles naquirent lors d'une promenade en bateau à laquelle Lewis Carroll avait convié Alice, Lorina et Charlotte Liddell, les filles du doyen de Christ Church. Les enfants lui demandèrent de leur raconter une histoire qu'il inventa au fur et à mesure de leur...
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