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CONNAISSEURS

Amateurs et connaisseurs

Au xviie siècle, l'histoire de l'art élabore ses structures. Les ouvrages des historiens suscitent l'intérêt des gens épris de culture et celui des grands amateurs. Sans employer le terme, Carel van Mander dans son Livre de peinture (1604) évoque les connaisseurs, dont les avis font autorité et s'appliquent principalement à l'attribution des œuvres. En France, Roger de Piles publie en 1677 une Conversation sur la connaissance de la peinture et sur le jugement qu'on doit faire des tableaux. Il reprend l'idée dans son Abrégé de la vie des peintres, en 1699, distinguant nettement « le curieux, qui se fait une idée d'un maître sur trois ou quatre tableaux qu'il aurait vu » et « le connaisseur, habile par ses talents, par ses réflexions et par sa longue expérience ». Le terme est désormais consacré, la « fonction » existe. Elle s'exerce et s'épanouit dans le milieu raffiné des grands amateurs parisiens du xviiie siècle, dans le cercle privilégié du financier Crozat.

C'est là que s'affirme la personnalité de celui qui fut sans doute le type le plus accompli du connaisseur, Pierre-Jean Mariette. Dans ses lettres, dans son Abecedario, il évoque ses relations suivies avec le comte de Caylus, archéologue, graveur, expert en antiques, avec Jean de Julienne, le graveur de Watteau, éminent collectionneur de dessins et de peintures, grand amateur aussi de porcelaines de Chine, avec l'abbé de Marolles enfin, traducteur de Vasari, et qui fut, dit-il, « le connaisseur le plus judicieux et le plus éclairé de son siècle ». Cette clarté de jugement, cette intelligence intuitive ont été aussi les traits dominants de Mariette, qui allait acquérir peu à peu une autorité incontestée, non seulement dans le domaine de la gravure et du dessin – dont il réunit une admirable collection –, mais aussi « dans toutes les matières du ressort des arts ». Il entretient une correspondance suivie avec ses homologues étrangers, Zanetti à Venise, Gaburri à Florence, Heineken à Dresde. Il rédige, entre autres, le catalogue des pierres gravées et des 19 000 dessins de la collection Crozat, dont la publication en 1741 fera date et qui servira de modèle à tous les catalogues de collections édités jusqu'à la fin du siècle. Comme pour la plupart des vrais connaisseurs, le dessin constitue pour lui un domaine privilégié : il y voit, à juste titre, l'élément indispensable à la connaissance réelle d'un artiste, peintre ou sculpteur. À la fin de sa vie toutefois, sa passion de collectionneur semble lui avoir enlevé quelque peu la sérénité du parfait connaisseur qu'il avait été.

Après lui, le terme est si précisément explicité que les Anglais l'empruntent au français sans le traduire : le connoisseur, la connoisseurship deviennent des institutions britanniques et c'est de l'autre côté de la Manche que les mots garderont leur sens plein, alors qu'ils n'ont plus aujourd'hui d'équivalent exact en français. Le personnage est dès lors si bien défini, si caractéristique dans son comportement, qu'il excite la verve des caricaturistes, des atrabilaires et des artistes au xviiie siècle, Hogarth en l'occurrence : celui-ci en effet publie dans un quotidien une satire subtile, montrant l'amateur dérouté par un jugement « autorisé », et péremptoire, sur un tableau peu attrayant et passablement noirci.

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Pour citer cet article

Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE. CONNAISSEURS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Maximilien II, empereur d'Allemagne (1527-1576) - crédits : G. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Maximilien II, empereur d'Allemagne (1527-1576)

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Peinture

    • Écrit par Jacques CARRÉ, Barthélémy JOBERT
    • 8 176 mots
    • 12 médias
    ...autorité seulement sur la possession de la terre et sur le pouvoir politique, mais aussi, de plus en plus, sur la maîtrise du goût et de la vie artistique. Le philosophe Shaftesbury explique que le vrai gentilhomme doit allier le culte du beau à l'amour de la vertu. L'âge d'or des « connaisseurs » commence...
  • ART (L'art et son objet) - L'attribution

    • Écrit par Enrico CASTELNUOVO
    • 6 559 mots
    • 1 média
    À quel moment l'attribution perd-elle son rôle d'auxiliaire pour devenir l'instrument par excellence de l'historien de l'art ? Au xviie siècle déjà, époque qui vit la fondation des grandes galeries princières, le problème du « connaisseur » est abordé en France par A. Félibien des Avaux (1619-1695)...
  • ART (L'art et son objet) - Le faux en art

    • Écrit par Germain BAZIN
    • 6 715 mots
    ... siècle, mais d'une façon moins aisée, car le commerce d'art s'organise, sort des officines des peintres, et l'on voit apparaître alors le connaisseur, dont le Français Mariette est le type le plus accompli en Europe. En outre, on attribue de plus en plus de valeur à la griffe originale des...
  • ART (Aspects culturels) - Public et art

    • Écrit par Nathalie HEINICH
    • 6 256 mots
    • 1 média
    ...esthétiques, de reconnaître des styles ou des écoles, d'identifier des signatures, par-delà l'intérêt premier pour le sujet. En France, ce fut dans le cadre d'un mouvement de « curiosité », propre aux fractions privilégiées de l'aristocratie et de la bourgeoisie, que, dans le courant du xviie siècle,...
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