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ŒDIPE COMPLEXE D'

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La castration

La question décisive du complexe d'Œdipe, c'est celle de sa fin : de ce qui y met fin et pose, à la limite, la nécessité de sa destruction (indique comme limite sa destruction), et pourtant laisse à la fin ce reste, notre destin, cette voix du dehors qui résonne encore en nous. Problème, celui de l'interminable, sur lequel vient buter la pensée de Freud : butée en effet, écueil où doit se briser, avec l'œdipe, la pensée elle-même.

D'où vient en effet que le complexe d'Œdipe doive disparaître, ou du moins que les désirs œdipiens doivent être suspendus, et du fait même de ce retard déplacés de leur lieu de naissance, déportés vers des lieux étrangers ? D'où vient qu'avant l'été de la puberté déjà le froid doive les recouvrir ? « Mais vient le temps, dit Freud, où le gel endommage cette floraison précoce ; aucune de ces amours incestueuses ne peut échapper au sort du refoulement » (« On bat un enfant »). Le temps ici, dans sa venue inéluctable, est pure nécessité du passage, pas, mais aussi, ou plutôt identiquement, fonction de la répétition, figure de ce qui, comme sort ou fatalité, sort de l'histoire, sort de ce fond inaccessible parce qu'aucun sol ne le constitue sinon justement la répétition elle-même, le temps ici est forme pure de la nécessité. « Le plus vraisemblable est qu'elles [ces relations amoureuses] passent parce que leur temps est révolu, parce que les enfants entrent dans une nouvelle phase de développement dans laquelle ils sont obligés de répéter, du fond de l'histoire de l'humanité, le refoulement du choix d'objet incestueux, comme ils avaient été plus tôt poussés à procéder à un tel choix » (ibid.). Ainsi n'est-ce pas seulement la règle de la société, mais la loi du temps lui-même qui intervient, non pas seulement la force contraignante d'un schéma culturel, mais la nécessité même, la force contraignante de la répétition (la Wiederholungszwang), c'est-à-dire la force de ce qui, au-delà du principe de réalité, en tant qu'il se fait valoir dans l'ordre social et culturel, s'impose comme sort ou fatalité. Au-delà de la figure du père et de sa fonction législatrice, la nuit du temps.

Dès lors, le complexe d'Œdipe, c'est l'aménagement du temps : du sort et de la répétition, du pas, de la fissure qui s'ouvre sous les pas. C'est l'aménagement du temps en l'espace d'une pause. L'espace de la culture. Car, à la brisure des relations œdipiennes, la période de latence permet, non plus qu'intervienne du dehors l'interdit de l'inceste, mais que s'installe au-dedans la barrière qui fait de la loi une institution : l'ensemble des forces de censure qui endiguent la pulsion sexuelle et la rendent compatible avec la civilisation. Dans cette fracture de la pause, et par ce jeu du retard, s'institue la possibilité des investissements culturels, le détournement de la pulsion par la société : la fin de l'œdipe ouvre l'intervalle, l'entre-sexe où se loge la culture. Sous le couvert de l'organisation génitale. Car la compatibilité culturelle de la sexualité correspond à son organisation sous le primat de la zone génitale et à la répression de ses formes dites perverses ; ainsi, au cours du développement de la pulsion sexuelle, « une partie de l'excitation sexuelle fournie par le corps propre est inhibée en tant qu'inutilisable pour la fonction de reproduction, et, en mettant les choses au mieux, elle est assignée à la sublimation. Les forces utilisables pour le travail culturel sont ainsi acquises pour une grande part par la répression des éléments dits pervers de l'excitation sexuelle » (S. Freud, « La Morale sexuelle civilisée... »).

Le dommage subi par les investissements[...]

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Écrit par

  • : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Claude RABANT. ŒDIPE COMPLEXE D' [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

<it>Œdipe et le Sphinx</it>, Ingres - crédits : Maurice Babey/ AKG-Images

Œdipe et le Sphinx, Ingres

Autres références

  • CASTRATION, psychanalyse

    • Écrit par
    • 697 mots

    Bien que la hantise de la castration ait laissé son empreinte sur la Traumdeutung (L'Interprétation des rêves), la notion n'en a été dégagée par Freud qu'à une époque tardive, dans le contexte initial de l'homosexualité et de la phobie infantile. S'agit-il d'abord...

  • COMPLEXE, psychanalyse et psychologie

    • Écrit par
    • 1 097 mots
    • 1 média

    Le terme « complexe » appartient au vocabulaire de la psychologie des profondeurs et de la psychanalyse. C'est le psychiatre suisse Carl Gustav Jung qui, en 1902-1903, dénomme ainsi les phénomènes qu'il découvre lorsqu'il réalise son expérience des associations de mots. En effet, Jung,...

  • CULPABILITÉ

    • Écrit par
    • 9 684 mots
    • 1 média
    Bien qu'elle n'ait jamais entraîné de débat analogue à celui que Bronisław Malinowski souleva en 1927 en contestant l'universalité du complexe d'Œdipe, la question est souvent posée de savoir si le sentiment de culpabilité, qui n'est pas sans rapport avec celui-ci puisqu'il procède lui-même...
  • DESTIN

    • Écrit par
    • 2 492 mots
    ...Green). La question se pose de savoir pourquoi c'est à Œdipe que Freud emprunte le modèle qui le définit comme structure universelle. Il s'en explique : « Pour moi, une série de suggestions prirent leur origine à partir du complexe d'Œdipe dont je reconnaissais l'ubiquité. Le choix, voire la création...
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