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GAUSS CARL FRIEDRICH (1777-1855)

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L'œuvre du mathématicien allemand Carl Friedrich Gauss (né à Brunswick, mort à Göttingen) est un monument d'une ampleur et d'une richesse sans égale : non seulement il y a Gauss mathématicien, mais il y a aussi le calculateur, le géodésien, l'astronome, et il ne faut pas oublier qu'il a pratiquement consacré les vingt dernières années de sa vie à l'étude du magnétisme.

Du vivant de Gauss déjà, son génie inspirait à ses contemporains une vénération un peu craintive, et nul n'aurait osé lui contester le titre de princeps mathematicorum dont on le désignait communément. Il faut préciser que non seulement les découvertes de Gauss le mettent hors de pair, mais que leur position dans l'histoire des mathématiques est absolument unique. On peut dire sans exagération qu'il a, à lui seul, incarné toute la mathématique pendant un tiers de siècle, car, de tout ce qui s'est publié de 1797 à 1827 environ, il est peu de travaux qui ne lui soient dus ou qu'il n'ait anticipés et parfois (comme par exemple dans ses théorèmes sur la fonction modulaire) c'est presque de trois quarts de siècle qu'il a devancé son temps. Placé comme à point nommé à la jonction de deux grandes époques de la science, Gauss nous apparaît comme le flambeau qui a montré la route à de nombreuses générations de mathématiciens et illuminé l'avenir comme nul autre ne l'a fait.

Le calcul sur les objets abstraits

Le point de vue de Gauss sur les objets « mathématiques » est déjà identique au nôtre : « Le mathématicien, dit-il, fait complètement abstraction de la nature des objets et de la signification de leurs relations ; il n'a qu'à énumérer les relations et les comparer entre elles » (Werke, t. II, p. 176). Dans ses travaux d'arithmétique supérieure, Gauss met plusieurs fois ce précepte en pratique : il introduit en effet une idée qui nous est maintenant familière, mais qui, à l'époque, était particulièrement hardie, celle de loi de composition entre objets qu'il n'est plus guère possible de considérer comme des « nombres » (au contraire de ce qu'on avait fait jusqu'alors pour les « nombres négatifs » ou les « nombres imaginaires »). C'est ainsi que, s'il se conforme à l'usage établi en ce qui concerne le calcul des congruences modulo un entier donné n, il n'en est pas moins conscient du fait qu'il s'agit en réalité d'un calcul sur les classes d'entiers ne différant que par des multiples de n, bien plutôt que d'un calcul sur les entiers eux-mêmes (Disquisitiones arithmeticae, art. 26 et 31). Dans la théorie de la composition des classes de formes quadratiques, qui lui est entièrement due, il est beaucoup plus net encore ; Lagrange avait défini une relation d'équivalence entre formes quadratiques binaires à coefficients entiers, deux formes étant équivalentes s'il est possible de transformer l'une en l'autre par une transformation unimodulaire à coefficients entiers ; il avait aussi démontré l'identité :

cela conduisait à dire que la forme (aa′, b, e) est la « composée » de (a, b, ae) et de (a′, b, ae). Gauss montra que si C, C′ sont deux classes de formes quadratiques de même déterminant, il y a toujours une forme du type (a, b, ae) dans C et une forme du type (a′, b, ae) dans C′ pour des nombres a, a′, b, e convenables, et en outre que, de quelque manière que l'on choisisse ces nombres répondant à ces conditions, les formes (aa′, b, e) sont toutes équivalentes ; la classe de ces dernières est ce que Gauss appelle la composée CC′ de C et de C′.

Dans l'un comme dans l'autre cas, les lois de composition envisagées par Gauss sont ce que nous appelons maintenant des lois de groupe commutatif (ou abélien), et les résultats de Gauss (bien que non exprimés sous la forme abstraite moderne) sont conçus et démontrés de manière si générale qu'on peut à bon droit les considérer comme établissant les fondements de la théorie des groupes commutatifs finis. Il met particulièrement en relief la notion de groupe cyclique et de générateurs d'un tel groupe, qu'Euler avait déjà rencontrée en montrant en substance que les classes modulo n des nombres premiers à n forment un groupe cyclique pour n premier ; complétant les résultats d'Euler, Gauss détermine la structure de ce groupe pour n quelconque, obtenant déjà sur cet exemple la structure générale d'un groupe commutatif fini comme produit direct de groupes cycliques. Bien qu'il ne l'ait pas exprimée de façon tout à fait explicite, il est vraisemblable qu'il était arrivé à la même conclusion pour le groupe des classes de formes quadratiques de déterminant donné et, en tout cas, il est aisé de déduire le théorème général des méthodes qu'il développe à ce propos (Disq. arith., art. 306 et suiv.).

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Il est évident que deux groupes cycliques de même ordre sont isomorphes et, bien entendu, cette observation ne pouvait échapper à Gauss ; ce qui est beaucoup plus remarquable, c'est la façon extrêmement pénétrante dont il use de ce fait dans ses célèbres travaux sur les racines de l'unité. Ayant démontré que, pour n premier, l'équation de degré n − 1 :

donnant les racines n-ièmes de l'unité ≠ 1, est irréductible, il utilise l'isomorphie du groupe additif des entiers modulo n − 1 et du groupe multiplicatif des classes modulo n pour écrire les racines de l'unité ≠ 1 sous la forme :
(0 ≤ k ≤ n − 2 ), où g est une «   racine primitive » de la congruence :
à toute décomposition de n − 1 en produit ef de deux facteurs, il fait alors correspondre les e « périodes » :
(0 ≤ γ ≤ e − 1), dont il prouve, à l'aide d'une « résolvante de Lagrange », qu'elles appartiennent au corps engendré, sur le corps des racines e-ièmes de l'unité, par une racine d'une équation binôme :
b est dans le corps des racines e-ièmes de l'unité. Cela lui donnait, d'une part, la possibilité d'exprimer « par radicaux » toutes les racines de l'unité, et, de l'autre, le fameux théorème sur la construction « par la règle et le compas » du polygone régulier de dix-sept côtés, sa première découverte publiée (à l'âge de dix-huit ans). Cette pénétrante analyse suit de si près celle qui découle naturellement de la théorie de Galois que l'on peut penser que Gauss avait déjà quelque idée de cette théorie, tout au moins pour les équations à groupe commutatif (dites « abéliennes ») ; et de fait nous savons qu'il avait appliqué les mêmes méthodes à l'équation de la division de la lemniscate (cf. chap. 4).

Il y a bien d'autres exemples de la hardiesse de Gauss à ouvrir de nouvelles voies par l'introduction d'objets mathématiques insoupçonnés de ses devanciers, et dont son instinct infaillible lui faisait pressentir toute la richesse. C'est ainsi que, dans un fragment destiné aux Disquisitiones, mais finalement non publié de son vivant, il avait reconnu la possibilité de définir des « racines imaginaires » des congruences modulo un nombre premier, et obtenu l'essentiel de la théorie des corps finis que retrouvera Galois trente ans plus tard. Surtout, c'est Gauss qui donne l'impulsion à toute la grande théorie des nombres algébriques, par son étude systématique de l'arithmétique des « entiers de Gauss » a + bi (a, b entiers rationnels) ; nous savons d'ailleurs qu'il avait ébauché des tentatives analogues pour d'autres corps de nombres algébriques, notamment certains corps cyclotomiques, mais il s'y était heurté à l'obstacle majeur qui ne fut surmonté que par Kummer, l'impossibilité de calquer directement la théorie des éléments « premiers » de ces corps sur celle des nombres premiers usuels.

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