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GAUSS CARL FRIEDRICH (1777-1855)

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La notion d'espace

Gauss n'est pas moins novateur en géométrie que dans les autres branches des mathématiques. Ses réflexions sur les fondements de la géométrie, et notamment sur les tentatives variées pour démontrer le postulat d'Euclide sur les parallèles, débutent dès sa vingtième année ; elles devaient se poursuivre durant une longue période, mais nous savons par sa correspondance que, dès 1816 (soit quinze ans avant Lobatschevski), il était parvenu à la conviction que ce postulat était indémontrable, et qu' il y avait donc place, à côté de la géométrie euclidienne classique, pour une autre géométrie où il existerait plusieurs parallèles à une droite passant par un même point. On sait que c'est là un tournant capital de l'histoire des mathématiques, marquant le premier pas dans la nouvelle conception du lien entre le monde réel et les notions mathématiques supposées en rendre compte ; avec la découverte de Gauss, le point de vue un peu naïf suivant lequel les objets mathématiques n'étaient que les « Idées » (au sens platonicien) des objets sensibles devenait insoutenable et allait peu à peu faire place à une plus nette compréhension de la complexité beaucoup plus grande de la question, où il nous semble aujourd'hui que mathématique et réalité sont presque complètement indépendantes, et leurs contacts plus mystérieux que jamais. Gauss lui-même, comme ses successeurs immédiats, croyait encore, à ce qu'il semble, que l'expérience pourrait décider du genre de « géométrie » qui correspond au monde réel (croyance fallacieuse comme devait le démontrer plus tard Poincaré) ; il faut en tout cas souligner à quel point il avait su se libérer de l'« apriorisme » kantien qui régnait alors sans partage ; certains propos que l'on rapporte de lui indiquent en outre qu'il s'était tout aussi bien affranchi de la prétendue nécessité de l'espace à trois dimensions, qu'il considérait à juste titre comme une infirmité de l'esprit humain.

Ses idées sur ce point ne paraissent pas s'être exprimées dans son œuvre mathématique ; mais il ne fait pas de doute pourtant que sa découverte de la géométrie non euclidienne a retenti sur son célèbre mémoire sur la théorie des surfaces, où l'on trouve exprimée pour la première fois la conception profonde de la géométrie intrinsèque d'une surface, indépendante de son prolongement dans l'espace ambiant. Il est probable, en outre, que les réflexions auxquelles devaient le conduire ses travaux de géodésie ont aussi contribué à former cette conception ; il est frappant en tout cas de constater que la question qui est au centre de ses préoccupations est l'expression de la somme des angles du triangle formé par trois géodésiques ; et c'est vraisemblablement en rapprochant, d'une part, le théorème connu pour les triangles sphériques, suivant lequel la différence A + B + C − π pour un triangle sphérique ABC sur la sphère de rayon 1 est mesurée par l'aire du triangle, et d'autre part le fait que dans la géométrie non euclidienne cette différence (qui est alors négative) est liée à une constante absolue de la géométrie, qu'il parvint enfin au célèbre théorème exprimant en général cette différence, pour un triangle géodésique infiniment petit, par la courbure totale de la surface. De ce résultat central découlait aussitôt le fait que la courbure totale ne dépend que du ds2 de la surface (fait que Gauss démontre par un calcul direct) ; en outre, dans des notes non publiées, il avait aussi introduit la notion de courbure géodésique qui permet d'évaluer la différence A + B + C − π pour un triangle quelconque non nécessairement géodésique, formule dite « de Gauss-Bonnet ». On sait que ce sont ces conceptions qui (du vivant encore de[...]

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Pour citer cet article

Pierre COSTABEL et Jean DIEUDONNÉ. GAUSS CARL FRIEDRICH (1777-1855) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • RECHERCHES ARITHMÉTIQUES (C. F. Gauss)

    • Écrit par
    • 190 mots

    Les Recherches arithmétiques (Disquisitiones arithmeticae) que Carl Friedrich Gauss (1777-1855) publie à Brunswick en 1801 marquent un progrès fondamental en théorie des nombres. Les quatre premières sections sont consacrées aux congruences et, selon la Préface même de l'auteur, contiennent peu...

  • ALGÈBRE

    • Écrit par
    • 7 143 mots
    Le premier exemple de groupe formé d'éléments de nature assez différente de celle des nombres est fourni par les travaux de Gauss sur les formes quadratiquesax2 + bxy + cy2, où a, b, c sont des entiers relatifs premiers entre eux. Deux telles formes étant dites équivalentes si l'on passe de...
  • ALGORITHME DE TRANSFORMÉE DE FOURIER RAPIDE (J. W. Cooley et J. W. Tukey)

    • Écrit par
    • 348 mots

    La publication en 1965, dans le journal Mathematics of Computation de la Société américaine de mathématiques (AMS), de l’« Algorithme de transformée de Fourier rapide » par les mathématiciens américains James William Cooley (1926-2016) et John Wilder Tuckey (1915-2000) révolutionne l’automatisation...

  • ANALYSE MATHÉMATIQUE

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    ...xixe siècle est caractérisé tout d'abord par un retour à la rigueur, notamment dans l'emploi des séries, où, sous l'influence de Gauss et surtout d' Abel et de Cauchy, il est assez rapidement admis qu'une série n'a de sens que lorsqu'on a prouvé sa convergence. Or, une fonction...
  • DIOPHANTIENNES APPROXIMATIONS

    • Écrit par
    • 4 514 mots
    Pour  obtenir  le  développement  de (e + 1)/(e − 1), Gauss a utilisé le développement en fraction continuée non régulière des séries hypergéométriques.
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