BANQUE Supervision prudentielle
Les modalités de la supervision prudentielle
L’organisation de la supervision pose deux séries de questions, concernant respectivement les instruments et les institutions de régulation. Si les modalités de la supervision ont considérablement évolué depuis les premières formes d’intervention des autorités à la suite de la crise de 1929, les institutions de contrôle sont demeurées presque inchangées. En septembre 2008, la mise sous tutelle par le Trésor américain de Freddie Mac et de Fannie Mae, les deux principales sociétés de crédit hypothécaire aux États-Unis, fournit un bon exemple de ce type d’intervention.
De la déréglementation à la re-réglementation prudentielle
Les modalités de l'intervention publique dans la sphère bancaire et financière ont beaucoup évolué à la suite de la mutation financière (extension et intégration croissante des marchés de capitaux, déspécialisation des banques, etc.). L'objectif de l'intervention publique qui prévalait encore dans les années 1980, en France et dans de nombreux autres pays européens, était essentiellement de se substituer au marché défaillant, en administrant les prix (taux créditeurs versés aux déposants, taux débiteurs dus par les emprunteurs, commissions) et les volumes (encadrement du crédit, contrôle des changes). Le démantèlement de ce type de contrôle (déréglementation) a laissé place à une supervision prudentielle dont le but est d'orienter les comportements des institutions financières vers plus de prudence, tout en laissant jouer les mécanismes de marché et en veillant particulièrement au maintien de conditions équitables et loyales de concurrence (level playing field). Cette évolution met en évidence la dialectique réglementaire qui accompagne la libéralisation financière : réglementation → déréglementation → re-réglementation.
Cette re-réglementation a pour principal instrument les ratios de fonds propres. Les fonds propres constituent, en effet, une « éponge à risques » sûre et pratique, dès lors qu'ils sont suffisamment proportionnés aux engagements risqués. Le ratio Cooke – recommandé en 1988 par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, qui réunit les régulateurs bancaires des principaux pays industrialisés, et adopté peu après par l'ensemble de ces pays – a précisément visé à renforcer la solvabilité des établissements bancaires en les obligeant à proportionner leurs fonds propres à hauteur de 8 p. 100 de leurs engagements risqués (crédits). Le système de pondération du ratio Cooke déterminant le poids en fonds propres des différentes catégories de risques (exclusivement les risques de crédit au départ) était cependant essentiellement fondé sur la nature institutionnelle de la contrepartie. Par exemple, les pays de l'OCDE, aussi différents soient-ils, étaient pondérés de manière identique, à 0 p. 100 ; les entreprises, elles, étaient pondérées à 100 p. 100 (soit un coût en fonds propres maximal de 8 p. 100), quels que soient leur taille, leur secteur d'activité, et abstraction faite de l'importance des portefeuilles bancaires de prêts aux entreprises permettant pourtant une certaine mutualisation des risques.
Ce système de pondération, beaucoup critiqué à l'époque, a largement motivé la réforme du ratio Cooke. Ce dernier a été remplacé, au terme des accords de Bâle II arrêtés en 2004, par le ratio McDonough. La réforme a redéfini les exigences en fonds propres pour la couverture du risque de crédit des banques en les reliant étroitement aux méthodes modernes de gestion des risques. En remplacement de l'ancien système, les pondérations nouvelles ont été déterminées en autorisant les banques à utiliser leurs systèmes de notations internes avalisés par le régulateur. Les crédits aux entreprises peuvent dès lors faire l'objet d'un large éventail de pondérations, entre 0 p. 100 et 150 p. 100 en fonction de la notation de l'entreprise par l'établissement bancaire. Il en va de même pour les crédits aux pays dont la pondération est fixée en fonction de la notation respective de ces derniers.
D'aucuns s'inquiètent cependant de l'état rudimentaire des systèmes internes de notation et de gestion des risques au sein des petites banques ou de banques locales de pays moins avancés qui, dès lors, devront se conformer au modèle réglementaire standard plus exigeant en fonds propres.
L'émergence d'une régulation en trois dimensions : réglementation, contrôle interne et discipline de marché
La réforme du ratio Cooke consacre une évolution perceptible depuis le milieu des années 1990 : une articulation croissante entre la réglementation, le contrôle interne et la discipline de marché. Les modèles internes de gestion des risques, éléments clés du contrôle interne des firmes bancaires, participent, en effet, de plus en plus au calibrage des exigences de solvabilité. Le renforcement de la discipline de marché constitue un autre pan important des accords de Bâle II. Le développement de la communication d'informations financières, des banques vers le régulateur et vers le marché (l'ensemble des apporteurs de capitaux), est censé renforcer le contrôle et la discipline que les apporteurs de fonds (créanciers et actionnaires) peuvent exercer. Les affaires Enron et WorldCom du début des années 2000 ont illustré l'ampleur des manipulations qui pouvaient être commises en la matière. La vigilance du régulateur, notamment quant à la fiabilité des informations communiquées et à la transparence comptable, demeure indispensable au bon exercice du contrôle émanant du marché. Le renforcement de son pouvoir de contrôle et de sanction apparaît, à cet effet, comme un contrepoids indispensable à la place plus grande prise par le contrôle interne et la discipline de marché.
Entre la mise en place du ratio Cooke à la fin des années 1980 et son remplacement par le ratio McDonough dans la seconde moitié des années 2000, les régulateurs ont également dû prendre la mesure de l'évolution des activités bancaires de plus en plus tournées vers le marché pour s'y financer et pour y investir (activité d'investissements en titres). Il fallait dès lors élargir la couverture en fonds propres des engagements risqués, au-delà du traditionnel risque de crédit, jusqu'aux risques de marché (risque de taux, risque de moins-value en capital). À l’échelon, une directive dite d'adéquation des fonds propres (capital adequacy directive) s'est substituée en 1993 à celle du ratio de solvabilité européen (transposition en Europe du ratio Cooke). À l’échelle internationale, le Comité de Bâle en est arrivé, dès 1996 (amendement à l'accord sur les fonds propres), sous la pression des grands groupes bancaires internationaux, à autoriser les établissements bancaires à utiliser leurs modèles internes d'évaluation des risques de marché (modèles dits de Value at Risk qui, sous certaines hypothèses, permettent de déterminer la valeur exposée au risque, c'est-à-dire la perte financière probable à couvrir) pour calibrer leur couverture en fonds propres. Ce début d'articulation de la réglementation et du contrôle interne fut perçu par certains observateurs comme une « démission » du régulateur qui aurait laissé les banques à leur « autocontrôle ». On craignait l'apparition de fortes distorsions entre les grands établissements disposant de modèles bien rodés et ceux qui seraient obligés de se conformer aux standards réglementaires, plus stricts car moins fins. Mais on pouvait aussi y voir une incitation au développement du contrôle interne des risques dans les établissements en retard et une synergie hautement souhaitable entre les différents modes de régulation à l'œuvre dans la sphère bancaire et financière.
Les modalités instrumentales de la réglementation cristallisent l'attention et les débats. Cependant, on peut au moins noter leur évolution et la volonté d'adaptation des régulateurs en la matière. Il n'en va pas de même en ce qui concerne le champ de compétences institutionnelle et géographique des autorités de supervision (modalités organisationnelles) dont l'évolution est largement moins sensible.
La spécialisation institutionnelle des dispositifs de supervision
Dans la plupart des pays, la supervision s'effectue institution par institution (à l'origine, métier par métier, lorsqu'ils étaient exercés séparément) selon un principe qui a présidé, dès le début, au dispositif d'encadrement du secteur bancaire. Cela signifie qu'il existe, au sein de chaque pays, un superviseur en charge des banques – qui peut être soit la Banque centrale, soit une agence de supervision indépendante –, un superviseur en charge des entreprises d'investissement (anciennes sociétés de Bourse, OPCVM…), un superviseur en charge des entreprises d'assurance, un (ou plusieurs) superviseur(s) en charge des marchés de valeurs mobilières. Cela implique assurément au sein de chaque pays et, a fortiori, à l'échelle internationale, une multiplicité d'autorités de supervision qui, face à l'intégration croissante des différents métiers de la banque et de la finance, n'ont pas d'autres choix que la coopération.
Cette spécialisation institutionnelle tend à s'atténuer dans les pays d'Europe du Nord. Certaines évolutions ont même été radicales, au Royaume-Uni notamment où la Financial Services Authority, issue de la réforme de la Banque d'Angleterre entamée en juin 1998, supervise l'ensemble des intermédiaires et des marchés financiers. D'autres pays, comme l'Allemagne, l'Autriche ou encore l'Irlande, ont suivi cette évolution mais, dans l'ensemble, le cloisonnement institutionnel demeure une caractéristique forte de l'organisation des dispositifs de supervision (notamment en France, où le retard en ce domaine est important).
La décentralisation géographique des dispositifs de supervision
Les autorités de supervision ont toutes des prérogatives et un champ de compétence définis à l'échelle nationale. Le cas européen est, à cet égard, un peu particulier, puisque la réglementation est désormais définie au niveau communautaire via des directives qui sont ensuite transposées dans les différents droits nationaux. Jusqu’à la mise en place de l’Union bancaire européenne, on ne peut pas parler pour autant d'une réglementation européenne ni d'un régulateur européen, puisque la réglementation demeure mise en œuvre au sein de chaque pays par les régulateurs nationaux, au nom du principe de subsidiarité, qui implique qu'on ne transfère pas au niveau communautaire ce qu'on peut maintenir au niveau national.
Au niveau international comme au niveau européen, par ailleurs, il existe certes de nombreuses instances de concertation telles que le Comité de Bâle, le Financial Stability Institute, l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) et son équivalent européen l’European Securities and Markets Authority (ESMA), qui a pris la suite du Committee of European Securities Regulators (CESR), ou l'Association internationale des contrôleurs d'assurance (AICA). Ces instances, au sein desquelles se réunissent les régulateurs nationaux, contribuent bien entendu à l'évolution de la réglementation mais ne constituent pas de véritables instances de supervision inter ou transnationale dotées d'un pouvoir de réglementation et de sanction.
On saisit dès lors les enjeux d'une réforme de la supervision prudentielle qui irait au-delà des aspects instrumentaux.
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Écrit par
- Jézabel COUPPEY : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
- Dominique PLIHON : professeur émérite d'économie, université Sorbonne Paris-Nord
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- INSTITUTIONS EUROPÉENNES
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