BANQUE Supervision prudentielle
Les enjeux d'une réforme de la supervision prudentielle
Les enjeux d'une telle réforme résident dans les failles des dispositifs qui n'ont pas évolué. Les superviseurs butent sur trois principaux écueils : l'intégration croissante des activités de la banque, de l'assurance et de la gestion d'actifs (déspécialisation des métiers) ; l'internationalisation des activités pouvant faire émerger de vastes conglomérats financiers (grands distributeurs multiservices) ; le risque systémique favorisé par l'interconnexion des acteurs et des marchés de la sphère financière (globalisation financière).
L'intégration des métiers de la finance
Face à l'intégration croissante des trois grands métiers de la finance, les instances de supervision qui demeurent spécialisées par institution sont démunies et ne peuvent que s'engager à renforcer leur coopération. Si cette intégration n'aboutit pas partout, en raison du maintien d'obstacles réglementaires, à l'émergence de véritables conglomérats financiers, elle se traduit dans de nombreux pays dont la France par un essor de la bancassurance (offre conjointe de services bancaire et d'assurance). Aux États-Unis, la loi sur la modernisation financière (Gramm-Leach-Bliley Financial Modernization Act de 1999) a levé les cloisons que le Glass Steagall Act avait érigées en 1933 pour séparer les activités bancaires traditionnelles, les activités de négociation et celle d'assurance. Les rapprochements y sont désormais facilités.
Mais, dans un tel contexte, seuls les pays qui ont adapté leur dispositif de supervision à ce décloisonnement des activités ont les moyens d'encadrer efficacement l'activité des conglomérats financiers. Les autres pays se contentent de la solution prescrite par le Joint Forum (comité de réflexion nommé en 1996 par l'OICV et l'AICA pour établir un rapport sur la supervision des conglomérats financiers), à savoir la désignation d'un régulateur chef de file, parmi ceux qui sont engagés dans la supervision de l'établissement multiservices, qui doit prêter une attention particulière à la solvabilité du groupe et diffuser un rapport à ses homologues. Ces principes continuent d'ailleurs d'inspirer la directive européenne sur les conglomérats financiers du 16 décembre 2002.
La lenteur des évolutions en la matière peut s'expliquer par les réticences des praticiens, en particulier celles des assureurs. Ces derniers font régulièrement valoir la spécificité de leur activité par rapport à celle des banques et, à cet égard, ne souhaitent pas une homogénéisation des exigences en fonds propres qui s'adressent à eux et aux banques, ni se retrouver sous la même tutelle prudentielle. L'argument s'accommode assez mal toutefois de l'importance prise par la bancassurance qui représente, en France par exemple, environ 60 p. 100 de la distribution totale de produits d'assurance-vie. Ces réticences sont, en tout cas, de nature à freiner la réorganisation des dispositifs prudentiels sous l'égide d'autorités de supervision dont le champ de compétence serait élargi.
Pourtant, un tel dispositif global ne serait pas seulement adapté à l'actuelle globalisation financière, il absorberait mieux surtout les incessants changements institutionnels inhérents à la dynamique des systèmes financiers (Merton, 1995). Ce décloisonnement institutionnel, même s'il n'était pas envisagé de manière globale dans chaque pays, pourrait au moins passer par l'établissement d'une supervision à deux piliers (twin peaks regulation) : une architecture reposant dans chaque pays sur deux instances de supervision, l'une pour l'intermédiation financière, l'autre pour les marchés de valeurs mobilières. En France, la décision de créer l'Autorité des marchés financiers (loi sur la sécurité financière, juillet 2003) laisse envisager l'établissement de l'un des deux piliers. La perspective du second pilier paraît, en revanche, beaucoup plus éloignée.
L'internationalisation des activités bancaires et financières
Alors que s'affirme le caractère international ou transnational des activités bancaires et financières, les prérogatives des institutions de supervision demeurent définies à l'échelle nationale. Le développement des activités transfrontières pose donc nécessairement des problèmes de supervision à la hauteur de ceux posés par les conglomérats financiers. Au niveau européen, la solution d'attente qui a été trouvée consiste dans la double surveillance, par le pays d'origine (qui normalement est seul compétent) et par le pays d'accueil. L'autre solution serait l'instauration d'autorités de supervision supranationales, voire internationales, dotées d'un véritable pouvoir réglementaire.
Il est à noter qu'en Europe les professionnels de la banque et de la finance se prononcent plutôt en faveur de la création d'autorités supranationales, européennes en l'occurrence, spécialisées dans chacune des activités de la sphère bancaire et financière. Ce sont, en revanche, les superviseurs nationaux qui s'y opposent, attachés qu'ils sont à la préservation de leur souveraineté et à la discrétion qu'elle leur confère.
Néanmoins, même si les avis des professionnels et des autorités de tutelle nationales convergeaient davantage vers une internationalisation de la supervision, la réforme resterait difficile à engager eu égard à l'hétérogénéité des modèles en vigueur. Quelle forme d'institution doterait-on d'une telle mission ? Une banque centrale supranationale telle que la Banque centrale européenne (BCE) en Europe ? Cela est peu probable pour au moins deux raisons. La première tient au conflit potentiel que pourrait induire l'adjonction d'un objectif de stabilité financière à celui de stabilité monétaire : assumer une mission de stabilité financière jusqu'au prêt en dernier ressort en cas de crise pourrait compromettre l'objectif de stabilité des prix, primordial pour la BCE. La seconde raison tient au fait que, au niveau de chaque pays, l'engagement de la Banque centrale dans la préservation de la stabilité financière est très inégal. Très représentatif de l'organisation des dispositifs prudentiels des pays d'Europe du Sud (Espagne, Portugal, Italie, Grèce), le modèle « Banque centrale » ne se retrouve pas du tout, par exemple, dans les pays d'Europe du Nord (pays scandinaves, Royaume-Uni, Allemagne) qui ont préféré confier une telle mission à une entité juridique indépendante.
Le risque systémique
L'internationalisation et l'intégration des activités bancaires et financières ont rendu plus probable la réalisation d'une crise globale étendue à l'ensemble du système : la crise systémique. La taille des établissements et l'échelle de leur activité en font, en effet, des catalyseurs extrêmement sensibles de telles crises. Le risque de contagion des difficultés a grandi avec l'interconnexion croissante des marchés et de leurs acteurs et avec la dimension accrue de ces derniers, qui force l'intervention des pouvoirs publics.
Alors que les risques de crédit et de marché relèvent de dispositifs microprudentiels (ratios de solvabilité, modèles internes de gestion des risques, transmission d'information...), la gestion du risque systémique implique la mise en place d'un dispositif macroprudentiel autour d'un prêteur en dernier ressort fournisseur ultime de liquidité en cas de crise. Cependant, en l'absence d'un prêteur en dernier ressort (PDR) international institutionnalisé, on demeure mal préparé à l'éventualité d'une crise systémique. Certains analystes jugent un tel événement suffisamment rare pour que soient privilégiés le pragmatisme et une intervention au cas par cas sans préjuger des responsabilités. Le Fonds monétaire international, lors de la crise asiatique en 1997-1998, a endossé ce rôle de PDR qui pourtant n'entrait pas dans ses missions initiales. L'intervention prompte de la Réserve fédérale américaine, au moment du krach de 1987, a également permis de dissiper le spectre de la crise de 1929 ; de même que sa participation indirecte lors du sauvetage du hedge fund LTCM a rapidement apaisé les craintes de contagion. Ces interventions au cas par cas restituent bien l'ambiguïté (souvent qualifiée de constructive) et l'incertitude dont les autorités souhaitent voir entourée leur action. Il s'agirait de ne pas systématiser le sauvetage du secteur bancaire et financier pour ne pas en déresponsabiliser les acteurs. Cependant, si l’occurrence des crises systémiques augmente, cette improvisation du PDR peut devenir extrêmement dommageable à la stabilité de la sphère bancaire et financière, comme le montre la crise de 2008-2009.
Les défis portés par l'évolution des systèmes financiers nécessitent un important effort d'adaptation de la part des autorités de supervision. Dans certains pays, en particulier au Royaume-Uni et en Allemagne, des réformes ont été entreprises pour mettre en place un dispositif de supervision global qui ne soit plus cloisonné par type d'institution financière. Mais, quand il a prévalu, l'esprit de la réforme est demeuré national. En Europe, l'unification monétaire autour de l'euro et de la BCE n'a pas (encore) trouvé sa traduction dans le domaine prudentiel autour d'une ou plusieurs agences de supervision transnationales. À l’échelle internationale, la réforme a porté sur les instruments de la supervision (ratio McDonough) mais, en termes d'organisation, on s'oriente vers la préservation des dispositifs nationaux et le renforcement en contrepartie de la coopération entre les autorités de supervision. Ce renforcement de la coopération passe par l'instauration de nouvelles instances de concertation, de forums et autres comités qui doivent eux-mêmes coordonner leurs actions. Même après la crise de 2008, cette dialectique de la coopération hypothèque toute une profonde réforme de l'architecture financière internationale.
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Écrit par
- Jézabel COUPPEY : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
- Dominique PLIHON : professeur émérite d'économie, université Sorbonne Paris-Nord
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- INSTITUTIONS EUROPÉENNES
- RISQUE ÉCONOMIQUE
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