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BABOUVISME

Gracchus Babeuf (1760-1797), le premier dans la Révolution française, surmonta la contradiction, à laquelle s'étaient heurtés tous les politiques dévoués à la cause populaire, entre l'affirmation du droit à l'existence et le maintien de la propriété privée et de la liberté économique. Par la pensée et par l'action, il dépassa son temps, il s'affirma l'initiateur d'une société nouvelle.

Comme les sans-culottes, comme les jacobins, Babeuf proclame que le but de la société est le bonheur commun ; la Révolution doit assurer entre tous les citoyens l'égalité des jouissances. Mais la propriété privée introduisant nécessairement l'inégalité, et la loi agraire, c'est-à-dire le partage égal des propriétés, ne pouvant « durer qu'un jour » (« dès le lendemain de son établissement, l'inégalité se remontrerait »), le seul moyen d'arriver à l'égalité de fait et « d'assurer à chacun et à sa postérité, telle nombreuse qu'elle soit, la suffisance mais rien que la suffisance », est « d'établir l'administration commune, de supprimer la propriété particulière, d'attacher chaque homme au talent, à l'industrie qu'il connaît, de l'obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun, et d'établir une simple administration de distribution, une administration des substances qui, tenant registre de tous les individus et de toutes les choses, fera répartir ces dernières dans la plus scrupuleuse égalité ». Ce programme, exposé dans le « Manifeste des plébéiens » publié par Le Tribun du peuple du 9 frimaire an IV (30 novembre 1795), constituait, par rapport aux idéologies sans-culotte et jacobine, caractérisées l'une et l'autre par l'attachement à la propriété privée fondée sur le travail personnel, un renouvellement profond ou plus exactement une brusque mutation : la communauté des biens et des travaux prônée par Babeuf fut la première forme de l'idéologie révolutionnaire de la nouvelle société issue de la Révolution elle-même. Par le babouvisme, le communisme, jusque-là rêverie utopique, était érigé en système idéologique finalement cohérent. Par la conjuration des Égaux, il entrait dans l'histoire des luttes sociales et politiques.

Le babouvisme porte la marque de son temps. Sans doute, chez Babeuf, autodidacte, l'idéal communiste prit-il naissance au cours de ses lectures. Mais, dépassant la rêverie utopique, Babeuf fut tout au long de la Révolution un homme d'action. C'est au contact des réalités sociales de sa Picardie natale, au cours de ses luttes révolutionnaires que, peu à peu, le système idéologique de Babeuf se précisa. On ne peut en effet présenter ce système, ainsi qu'on l'a fait plus d'une fois, comme un tout conçu dogmatiquement et avec une parfaite cohérence ; il fut une résurgence de l'espérance millénariste, transmise par les livres mais enrichie et vivifiée par l'observation sociale et par l'action révolutionnaire et finalement systématisée.

L'itinéraire révolutionnaire

À suivre la correspondance de Babeuf avec Dubois de Fosseux, dans les années qui précédèrent la Révolution, l'origine livresque du communisme de Babeuf ne fait aucun doute. Rousseau, Mably, Morelly et son Code de la nature (mais quant à ce dernier plus tardivement) ont exercé sur Babeuf une influence décisive. Il se livre à une étude « consciente » des principales œuvres de Jean-Jacques Rousseau, et non de seconde main, comme on l'a suggéré. Le Contrat socialest lu, médité, annoté ; les Confessions sont tenues pour un « chef-d'œuvre d'analyse ». Le Discours sur l'origine de l'inégalité est soumis à une critique serrée. C'est à Mably que Babeuf emprunte la formule « Égalité parfaite[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

Classification

Pour citer cet article

Albert SOBOUL. BABOUVISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BUONARROTI PHILIPPE (1761-1837)

    • Écrit par Jean MASSIN
    • 586 mots

    Né à Pise d'une noble famille toscane justement fière d'avoir donné au monde Michel-Ange, Philippe Buonarroti fait à l'université de Pise de bonnes études littéraires et juridiques. Fervent admirateur de Rousseau, il publie un journal, Gazetta universale, ce qui le fait...

  • COMMUNISME - Histoire

    • Écrit par Annie KRIEGEL
    • 13 863 mots
    • 10 médias
    ...mis en cause. Il faut attendre Thermidor et la fin de la sans-culotterie pour qu'apparaisse un contestataire radical en la personne de Gracchus Babeuf. Favorable à la collectivisation des terres comme à la nationalisation générale des biens, il fait insérer dans le manifeste des Égaux (6 avr. 1796)...
  • GRENELLE AFFAIRE DU CAMP DE (1796)

    • Écrit par Jean TULARD
    • 243 mots

    L'affaire du camp de Grenelle est l'épisode décisif de la conjuration des Égaux animée par Gracchus Babeuf. Cet ancien feudiste, qui rêvait d'un communisme agraire, prépare un complot en liaison avec d'anciens Montagnards. Après l'échec des journées de germinal et de prairial an III (1...

  • JACOBINS NÉO- (1795-1799)

    • Écrit par Jean TULARD
    • 404 mots

    En novembre 1794, la réaction thermidorienne impose la fermeture du club des Jacobins. L'histoire du jacobinisme n'est pas pour autant terminée, même si elle est éclipsée sous le Directoire par le babouvisme. Après l'amnistie qui suit le coup de force du 13 vendémiaire (oct. 1795),...

Voir aussi