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BABOUVISME

La conjuration des Égaux

Le babouvisme ne saurait se définir seulement comme un système idéologique. Il fut aussi une pratique politique. La « conjuration des Égaux » constitue la première tentative pour faire entrer le communisme dans la réalité sociale.

Au cours de l'hiver de l'an IV (1795-1796), au spectacle de l'effroyable misère qui accable le peuple et de l'incapacité gouvernementale, Babeuf, bientôt réduit à la clandestinité par la police du Directoire, en vient à l'idée de jeter bas par la violence cet édifice social inique. La conjuration groupa autour d'une minorité acquise au communisme des membres du club du Panthéon, anciens jacobins, tels Amar, ancien membre du Comité de sûreté générale, Drouet, l'homme de Varennes, Lindet, ancien responsable de la Commission des subsistances du Comité de salut public : les buts de ces hommes demeuraient essentiellement politiques : Buonarroti, en revanche, ancien commissaire du Comité de salut public en Corse, puis à Oneglia sur la Rivière du Ponant, toujours fervent robespierriste, eut une part considérable dans l'élaboration du programme communiste de la conjuration et dans son organisation politique. Le 10 germinal an IV (30 mars 1796) fut institué un comité insurrecteur où entrèrent avec Babeuf, Antonelle, Buonarroti, Darthé, Félix Lepeletier et Sylvain Maréchal. La propagande se développa, dirigée par un agent dans chacun des douze arrondissements parisiens. Les circonstances étaient favorables, l'inflation poursuivait ses ravages.

L'organisation de la conjuration souligne une rupture avec les méthodes jusque-là employées par le mouvement populaire : elle marque elle aussi, dans l'histoire de la pratique révolutionnaire, une mutation. Jusqu'en 1794, comme l'ensemble des militants populaires, Babeuf s'était affirmé partisan de la démocratie directe. Dès la fin de 1789, sa méfiance éclate à l'égard du système représentatif et des assemblées élues (« le veto du peuple est de rigueur ») ; en 1790, il défend l'autonomie des districts parisiens. La pensée de Babeuf n'est ici guère originale : la filiation par rapport à Rousseau, dont il paraphrase souvent le Contrat social, est évidente, et nette la concordance avec les tendances politiques des militants parisiens de la sans-culotterie.

D'autant plus remarquable apparaît l'organisation clandestine que Babeuf met sur pied en 1796. Au centre, le groupe dirigeant, s'appuyant sur un petit nombre de militants éprouvés ; puis la frange des sympathisants patriotes et démocrates au sens de l'an II, tenus hors du secret et dont il n'apparaît pas qu'ils aient partagé le nouvel idéal révolutionnaire ; enfin les masses populaires elles-mêmes, qu'il s'agit d'entraîner. Conspiration organisatrice par excellence, mais où le problème des liaisons nécessaires avec les masses semble avoir été résolu d'une manière incertaine. Ainsi, par-delà la tradition de l'insurrection populaire, illustrée par les grandes journées révolutionnaires, se précisait la notion de la dictature révolutionnaire que Marat avait pressentie sans pouvoir la définir nettement. Après la prise du pouvoir grâce à une insurrection organisée, il serait puéril de s'en remettre à une assemblée élue selon les principes de la démocratie politique, même au suffrage universel. Il est nécessaire de maintenir la dictature de la minorité révolutionnaire que la conjuration et l'insurrection ont portée au pouvoir, tout le temps nécessaire à la mise en place des institutions nouvelles et à la refonte de la société. Par Buonarroti, cette idée passa à Blanqui : il y a incontestablement filiation entre la pratique conspirative du blanquisme et cet aspect du babouvisme. Et c'est vraisemblablement au blanquisme qu'il faut rattacher la doctrine et[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

Classification

Pour citer cet article

Albert SOBOUL. BABOUVISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BUONARROTI PHILIPPE (1761-1837)

    • Écrit par Jean MASSIN
    • 586 mots

    Né à Pise d'une noble famille toscane justement fière d'avoir donné au monde Michel-Ange, Philippe Buonarroti fait à l'université de Pise de bonnes études littéraires et juridiques. Fervent admirateur de Rousseau, il publie un journal, Gazetta universale, ce qui le fait...

  • COMMUNISME - Histoire

    • Écrit par Annie KRIEGEL
    • 13 863 mots
    • 10 médias
    ...mis en cause. Il faut attendre Thermidor et la fin de la sans-culotterie pour qu'apparaisse un contestataire radical en la personne de Gracchus Babeuf. Favorable à la collectivisation des terres comme à la nationalisation générale des biens, il fait insérer dans le manifeste des Égaux (6 avr. 1796)...
  • GRENELLE AFFAIRE DU CAMP DE (1796)

    • Écrit par Jean TULARD
    • 243 mots

    L'affaire du camp de Grenelle est l'épisode décisif de la conjuration des Égaux animée par Gracchus Babeuf. Cet ancien feudiste, qui rêvait d'un communisme agraire, prépare un complot en liaison avec d'anciens Montagnards. Après l'échec des journées de germinal et de prairial an III (1...

  • JACOBINS NÉO- (1795-1799)

    • Écrit par Jean TULARD
    • 404 mots

    En novembre 1794, la réaction thermidorienne impose la fermeture du club des Jacobins. L'histoire du jacobinisme n'est pas pour autant terminée, même si elle est éclipsée sous le Directoire par le babouvisme. Après l'amnistie qui suit le coup de force du 13 vendémiaire (oct. 1795),...

Voir aussi