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ARTS DE LA RUE

La reconnaissance d'un genre

Dario Fo - crédits : Mondadori Portfolio/ Archivio Pigi Cipelli /Pigi Cipelli/ AKG-images

Dario Fo

La France n'était pas isolée dans cet engouement. Dans l'Italie de la commedia dell'arte, revigorée par Dario Fo, les places se couvraient toujours de tréteaux pour des spectacles de plein air, l'été. De 1977 à 1984, Renato Nicolini (assesseur à la culture auprès du maire de Rome) imagina l'Estate romana pour célébrer les vertus de l'éphémère, avec des architectures amovibles, des spectacles disséminés entre les villas baroques et les zones industrielles, initiatives qui guidèrent par la suite la municipalité de Francesco Rutelli et Walter Veltroni. Les Pays-Bas avaient accueilli à Amsterdam le Festival of Fools animé par Django Edwards, dont la compagnie fut aussi invitée au festival de Cologne en 1976. Libérée du joug franquiste, l'Espagne et surtout la Catalogne se montraient avides de manifestations : deux compagnies d'une indéniable expressivité visuelle et gestuelle, les Comediants et la Fura dels Baus, circulèrent dans toute l'Europe avec des spectacles marquants.

Dans ce cadre, la spécificité de la situation française tenait à l'articulation de trois facteurs : l'essor de structures de niveau national encourageait la mobilisation d'un milieu professionnel qui visait à délimiter son propre champ esthétique. L'embellie budgétaire obtenue à partir de 1981 par le ministère Lang et le dynamisme local favorisé par les lois Defferre ont incité les élus à valoriser leurs collectivités. Dans le prolongement d'un cycle d'équipement social, sportif et culturel, ils attendaient des artistes qu'ils renforcent le sentiment d'appartenance des habitants, confortent leur sens de la convivialité, animent le centre-ville et réhabilitent les quartiers périphériques. Pour cela, certains se montrèrent prêts à tenter des expériences inédites, que ce soit avec les carillonneurs ambulants de Lille ou les Tambours du Bronx (à vrai dire nivernais), les pyrotechniciens d'Éphémère ou d'Artifictions, les scénographes d'Ici Même ou bien Ricardo Basualdo et ses complices du Merveilleux urbain.

Dans un pays modelé par la monarchie absolue et réformé par Napoléon Bonaparte, la légitimité procède d'en haut, pour les genres populaires comme pour les arts dits majeurs. Urban Sax et Pierre-Alain Hubert furent chargés d'accueillir le sommet des pays les plus industrialisés (G7) à Versailles en 1982, le premier en musique, le second en lumière. La pompe officielle et la fantaisie artistique convergèrent le 14 juillet 1989 sur les Champs-Élysées, où une Marseillaise commandée au publicitaire Jean-Paul Goude draina les foules. Puis ce fut au tour du jeune chorégraphe Philippe Decouflé d'orchestrer la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques d'hiver à Albertville en 1992. Le 31 décembre 1999, autour de minuit, les artificiers du Groupe F embrasèrent la Tour Eiffel pendant que les compagnies Générik Vapeur et Transe Express – entre autres – faisaient tourner de grandes roues sur les Champs-Élysées sous la supervision de l'architecte Patrick Bouchain. L'agenda d'État et les calendriers territoriaux regorgeant de dates à célébrer, les artistes de rue se voient désormais solliciter en de multiples occasions. Début décembre, la Fête des lumières de Lyon rallie jusqu'à quatre millions de promeneurs, depuis que la mairie a pris en 1999 le relais de l'Église dans la coordination des illuminations. Dans la même ville, dès 1996, le défilé de la Biennale de la danse mobilise des milliers de figurants. Il en va de même pour la Zinneke Parade de Bruxelles, qui renouvelle une année sur deux, depuis 2000, la tradition des défilés de chars et de géants. À partir de 2002, Paris fait sa Nuit blanche en octobre, vite imitée par Rome, Bruxelles, Madrid, Riga, Montréal. L'organisation d'événements[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre, chargé de cours à l'université de Louvain-la-Neuve (Belgique), membre du comité de rédaction des Temps modernes et d'Études théâtrales

Classification

Pour citer cet article

Emmanuel WALLON. ARTS DE LA RUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Dario Fo - crédits : Mondadori Portfolio/ Archivio Pigi Cipelli /Pigi Cipelli/ AKG-images

Dario Fo

Festival d'Aurillac, 2007 - crédits : V. Muteau/ Troupe Warner&Consorten, 2007

Festival d'Aurillac, 2007

Autres références

  • BREAD AND PUPPET THEATRE

    • Écrit par Armel MARIN
    • 941 mots

    À travers le Bread and Puppet Theatre, et grâce à son créateur, Peter Schumann, sculpteur d'origine allemande, le spectacle américain des années 1960 a rencontré les marionnettes siciliennes issues d'une très vieille tradition du xive siècle et, peut-être, subi l'influence du...

  • BREAD AND PUPPET THEATRE - (repères chronologiques)

    • Écrit par Jean CHOLLET
    • 388 mots

    1962 À New York, Peter Schumann (né en 1934) crée, avec Bob Ernstthal et Bruno Eckhardt, le Bread and Puppet Theatre.

    1963 The King's Story, premier spectacle avec des marionnettes à tiges en papier mâché. Les manipulateurs sont encore dissimulés par un rideau rouge, les acteurs masqués....

  • CARNAVAL

    • Écrit par Annie SIDRO
    • 6 168 mots
    • 1 média
    C'est ainsi que le théâtre etles arts de rue ont tendance à empiéter de plus en plus sur l'espace carnavalesque traditionnel. Ils inspirent déjà plusieurs carnavals en Europe. Depuis l'an 2000, ils occupent une place plus importante dans le carnaval de Nice et sont à l'origine de la création de la...
  • CRÉATION DU BREAD AND PUPPET THEATRE

    • Écrit par Jean CHOLLET
    • 351 mots

    Persuadé que le théâtre « est aussi indispensable à l'homme que le pain », l'Américain d'origine allemande Peter Schumann (né en 1934), sculpteur, musicien et chorégraphe, crée en 1962 une troupe, dans un quartier de Manhattan, pour présenter des spectacles hors des théâtres, dans la rue et autres...

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Voir aussi