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NAÏF ART

Les « peintres du cœur sacré »

Les artistes naïfs sont presque tous des transplantés. Nés à la campagne, ou dans de petites villes à proximité de champs et de bois, ils sont néanmoins, économiquement et socialement parlant, coupés de la vie rurale. Coupés en somme de leurs vraies racines. Mais, par une singulière contradiction, c'est à cette situation qu'ils doivent non seulement de pouvoir peindre ou sculpter (sinon la terre reprendrait ses droits tyranniques sur leurs loisirs, elle qui demande qu'on s'occupe d'elle toute l'année), mais tout autant de ressentir avec force leur propre déracinement et par conséquent ce qui leur fait si cruellement défaut. Aussi assument-ils spontanément l'expression de la nostalgie de la vie naturelle, ou d'une vie mieux accordée au rythme des saisons : d'un Rousseau (Henri) à l'autre (Jean-Jacques) se découvre une profonde continuité, fondée sur cette certitude qu'à une nature dégradée ne peut correspondre qu'une humanité dégradée. C'est l'aspect que certains diraient conservateur de l'art naïf : il vise à la défense, non point uniquement des « espaces verts », mais de l'espace nécessaire au verdoiement des âmes. Uhde proposa l'expression « peintres du cœur sacré » pour l'opposer notamment à celle de « maîtres populaires de la réalité », dont il disait : « Je n'ai jamais pu comprendre comment on en arrivait à qualifier ainsi des peintres justement si éloignés du réel. » Car, ajoutait-il, après l'impressionnisme et le cubisme, « il fallait que vinssent ces peintres pour conférer à la réalité le sublime de la pensée et la grandeur du sentiment ». Parlant par exemple des paysages urbains de Rousseau, il déclare : « Tous ces tableaux sont, du point de vue documentaire, peu intéressants. Ils procèdent de l'imagination d'un homme qui nous ignore ainsi que notre vie, et ils s'élèvent d'une manière étrange et fascinante au-dessus des réalités pour prendre figure d'aventures personnelles. » Peu de temps après, André Breton allait employer les mêmes termes : « L'aspect insolite de ces figurations suffirait à ruiner l'assertion selon quoi les œuvres les plus caractéristiques de Rousseau s'imposeraient par le pur et simple souci de vérité (dans le sens positiviste du terme) au service d'une âme dénuée de méfiance. D'intérêt dérisoire au point de vue réaliste, ces œuvres sont bel et bien de ressort surréaliste avant la lettre (au même titre que les premiers Chirico). » Cette vertu onirique, cette vérité secrète, cet au-delà des apparences se révèlent également dans les marines ou les sous-bois de Dominique Peyronnet, dans l'érotisme tendre et précieux de Morris Hirshfield, dans les paysages extatiques d'Ivan Rabuzin, dans les visions de Matija Skurjeni, dans les compositions luxuriantes d'Hyppolite, tout comme dans le Palais idéal édifié par Ferdinand Cheval à Hauterives (Drôme) ou les rochers sculptés par Adolphe-Julien Fouéré à Rothéneuf en Bretagne.

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres

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Médias

Calendrier de l'année 1897 - crédits : De Agostini Picture Library/ Bridgeman Images

Calendrier de l'année 1897

<it>Moi-même. Portrait-paysage</it>, H. Rousseau - crédits :  Bridgeman Images

Moi-même. Portrait-paysage, H. Rousseau

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