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SAGESSE

La sagesse dans la Bible

Les Anciens avaient représenté la sagesse sous les traits d' Athéna. C'était pensivement appuyée sur sa lance que la déesse-guerrière, née tout armée du crâne de Zeus, surgissait aux regards des mortels sous le ciseau du sculpteur ou le pinceau du peintre. Mais la reine des batailles tenait un rameau d'olivier à la main ; car la sagesse politique enseigne que la paix n'est jamais que la récompense du plus fort. La déesse incarnait également l'intelligence ; car sagesse et raison cheminent de conserve. Il ne manquait à la déesse aux bras blancs, protectrice de l'astucieux Ulysse, que d'avoir dicté des ouvrages. L'idée de transformer les Célestes en écrivains n'est apparue qu'avec le judaïsme. Le bénéfice le plus précieux que l'art de la politique a retiré de ce génial artifice a été de permettre au sage de paraître confier publiquement au ciel lui-même le soin de rédiger, par la main de ses fidèles secrétaires, les préceptes de la morale élémentaire et pratique qui assure la bonne marche des sociétés.

Aussi, dans la Bible, le sage et la divinité se partagent-ils équitablement les mérites qu'ils s'attribuent généreusement l'un à l'autre. C'est ainsi que la sagesse de Salomon est proclamée « plus grande que celle de tous les Orientaux et que toute celle de l'Égypte » (I Rois, v, 9-14 ; cf. x, 6 s., 23 s.) ; mais elle passe pour un don particulier que le roi aurait obtenu par les prières répétées qu'il n'a cessé d'adresser à son alibi et support invisible, dont il est censé tenir la plume avec le moins d'indignité possible. De même, Joseph est salué comme un administrateur avisé, mais il tient toute sa sagesse de l'inspirateur tout-puissant dont il est réputé n'être que le docile scripteur (Gen., xli-xlvii).

Le combat contre la lettre

Ce dédoublement de la personnalité est constant chez les Prophètes, qui se laissent tellement habiter par leur double littéraire qu'ils se sentent devenir comme un objet entre ses mains. Les Grecs appelaient « enthousiasme », c'est-à-dire possession intérieure par les dieux, et les Romains divinus afflatus (Cicéron) l'état de transe inspiré par une aliénation créatrice. Une religion fondée sur l'écriture va révéler toute sa fécondité spirituelle quand les sages commenceront d'oser proférer une parole jaillie des profondeurs du néant qui est l'hôte abyssal de la conscience. Aussi la manière dont les rédacteurs de l'Ancien Testament ont progressivement imposé une séparation entre la forme pratique de la sagesse, d'une part, et la hauteur visionnaire, d'autre part, est-elle fort révélatrice. Car il est dit que le sage devra posséder un « cœur capable de discerner le bien et le mal » (I Rois, iii, 9) – mais, précisément, la distinction traditionnelle entre un bien et un mal autrefois prédéfinis de manière immuable par la divinité sera profondément revivifiée par le génie des grands visionnaires du politique que seront les Prophètes. La sorte de sagesse trop bien apprise et qu'un long usage a fétichisée sera dûment disqualifiée. La parole de l'oracle était tombée entre les mains des gardiens de la lettre, les scribes. Or toutes les sociétés croient se consolider à se donner pour armure un corps de préceptes rigoureux et éternels, qui soumettront les consciences à la poigne d'un ritualisme sévère. C'est ainsi que meurent le sens et la finalité véritables des lois. Cicéron disait déjà : Summum jus, summa injuria – pour signifier aux conservateurs dans le Sénat que la stricte application de la lettre des Douze Tables conduisait au comble de l'injustice par le triomphe absurde d'une liturgie judiciaire formaliste, chargée d'étouffer l'équité, qui est la loi suprême de[...]

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Pour citer cet article

Manuel de DIÉGUEZ. SAGESSE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 11 137 mots
    • 8 médias

    On méconnaîtrait l'importance culturelle de la philosophie antique si l'on n'y voyait qu'une période – la première, donc la plus fruste – dans le développement d'une activité intellectuelle spécifique, et clairement définie, qui serait la philosophie. En réalité, l'Antiquité, et singulièrement...

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...philosophie, il n'en propose pas moins ensuite deux caractérisations plus rigoureuses, et assez différentes l'une de l'autre, de cette science nommée sagesse. D'une part, le philosophe est celui qui connaît le plus de choses, c'est-à-dire, commente Aristote, qui possède la science de l' universel, car...
  • AUTONOMIE

    • Écrit par François BOURRICAUD
    • 4 123 mots
    ...une instance supérieure, ne réside pas dans la domination, c'est-à-dire dans la contrainte efficace exercée par les autorités constituées, mais dans la sagesse, c'est-à-dire dans la distinction du Bien (la liberté du sage) et du Mal (l'esclavage des passions). De là deux conséquences : d'abord,...
  • BOÈCE (480-524)

    • Écrit par Pierre HADOT
    • 1 463 mots
    ...sa mort tragique, Boèce écrit sa Consolation de Philosophie. Dans cette œuvre, où alternent prose et poésie, il fait appel à la tradition de la sagesse antique, stoïcienne et platonicienne, pour assurer la paix de son âme au sein du malheur qui l'accable. Le premier livre décrit la Philosophie...
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