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CHEVALERIE EN ESPAGNE ROMANS DE

Amour et chevalerie

Il est certain que l'auteur ou les auteurs des premiers livres d'Amadis s'inspirèrent des récits du cycle breton. « Par l'ensemble de son architecture et tout le détail de sa thématique, l'Amadis s'inspire très certainement du Lancelot en prose. Mais l'inspiration est aussi discrète qu'adroite ; peu visible, elle va en profondeur » (P. Le Gentil). L'Amadis a su apparaître comme une nouveauté.

L'œuvre tout entière est une apologie de l'héroïsme et de la fidélité amoureuse, une dernière incarnation de la doctrine courtoise et des liens qui unissent l'amour et les prouesses chevaleresques. Dans les multiples ramifications des aventures, qui finissent par se répéter et par lasser, mais dont certaines ont un caractère grandiose, se pressent plus de trois cents personnages. Les héros principaux vivent quelque peu hors des lois communes de la société. Leurs amours sont subites, absolues, leurs unions secrètes, et ce qui a pu sembler excessif ou déshonnête n'est qu'un besoin de s'élever au-dessus des conventions de la morale courante, dans une soif d'idéal et d'absolu. Les enfants, nés souvent en secret ou dans des conditions merveilleuses, connaissent, à leur tour, des enfances extraordinaires. Ainsi Amadis est livré aux flots, Galaor, son frère, est enlevé par un géant. Esplandian porte sur sa poitrine une inscription étrange. Il faut, en effet, arracher ces chevaliers à une éducation commune. Tout doit être héroïque dans leur destin.

Le parfait chevalier est mélange de force, de beauté et de sentiment. Il sert sa dame et protège toutes les dames, lutte contre les géants, les monstres, résiste aux tentations et connaît l'abnégation de la pénitence amoureuse. Amadis, repoussé injustement par Oriane, connaît un profond désespoir et se retire loin du monde à la Roche Pauvre en compagnie d'un ermite. Pour lui la récompense de tant de vaillance et de pureté dans l'amour est la seigneurie de l'île Ferme, cette île enchantée, où seuls peuvent entrer les loyaux amants, où seul peut régner le plus parfait de tous.

La vaillance d'Amadis s'accompagne de délicatesse, de raffinement, de très haute courtoisie. Si, d'un côté, il entreprend des aventures à caractère mythique – sa descente dans les prisons souterraines de l'enchanteur Arcalaus évoque une descente aux Enfers, sa victoire sur le monstre de l'île du Diable est peut-être une victoire sur le Mal –, il reste un héros humain. L'Amadis remanié par Montalvo fut considéré dans toute l'Europe comme l'épopée de la fidélité amoureuse, mais aussi comme un répertoire de bonnes manières, un code de parfaite courtoisie.

L'œuvre, connue jusqu'ici surtout pour le foisonnement des aventures, révèle peu à peu, grâce à des analyses plus systématiques, les structures fondamentales de son projet – ou de ses différents projets : quête d'une identité héroïque par un chevalier sans nom, grâce à une vocation et à un réseau de médiations où l'aventure et l'amour ont un rôle privilégié, fonction complémentaire de l'aventure solitaire et de l'intégration à la cour, conflit entre les forces convergentes du bien, forces d'intégration, et les forces divergentes du mal, combinaison du temps mythique, du temps circulaire de l'hagiographie et du temps linéaire de la biographie parfois proche de la chronique, technique narrative de l'entrelacement.

L'Amadis exprime sans doute les valeurs les plus hautes que veut se donner une société aristocratique à son point de perfection. Ce reflet imaginaire devient bientôt soit rêve d'évasion, soit utopie. N'oublions pas que si Don Quichotte, selon l'heureuse expression de M. Foucault, « vient d'échapper tout droit du bâillement des livres », le médiateur de[...]

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Écrit par

  • : maître assistant, agrégée à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Madeleine PARDO. CHEVALERIE EN ESPAGNE ROMANS DE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Don Quichotte et Sancho Pança</it>, A. Decamps - crédits :  Bridgeman Images

Don Quichotte et Sancho Pança, A. Decamps

Autres références

  • CERVANTÈS MIGUEL DE (1547-1616)

    • Écrit par Jean CANAVAGGIO
    • 5 482 mots
    • 3 médias
    ...la cervelle a été troublée par la lecture des Amadis et qui entend ressusciter la chevalerie errante. Elle commande, de ce fait, la parodie d'un genre dont s'était détournée la fine fleur de l'aristocratie, depuis l'époque de Charles Quint, et qui, semble-t-il, touchait depuis lors d'autres catégories...
  • CERVANTÈS, 450 ANS APRÈS

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 1 456 mots

    En 1997, l'Espagne a célébré avec éclat le quatre cent cinquantième anniversaire de la naissance de Miguel de Cervantès, le 29 septembre (?) 1547, à Alcalá de Henares (Castille). Une exposition, dans cette ville, a évoqué « Cervantès et le monde cervantin dans l'imagination romantique »....

  • DON QUICHOTTE

    • Écrit par Pierre GUENOUN
    • 867 mots
    • 4 médias

    « Dans un village de la Manche, dont je ne saurais me rappeler le nom, vivait naguère un gentilhomme... », c'est ainsi que Cervantès faisait débuter l'histoire d'Alonso Quixada, Quesada ou Quijana, ce personnage à la cervelle dérangée par la lecture de trop de romans de chevalerie, qui, sous le nom...

  • DON QUICHOTTE (M. de Cervantès) - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 1 328 mots
    • 4 médias
    Vieux garçon frisant la cinquantaine et vivant seul, entouré de sa nièce et d'une gouvernante, Alonso Quijana, à l'instar des héros de romans de chevalerie dont il est un lecteur éperdu, décide de devenir chevalier errant, sous le nom de Don Quijote de la Mancha : « Enfin, son jugement étant tout à fait...
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