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COURTOISIE

Aux xiie et xiiie siècles, le mot « courtoisie » s'entend en deux acceptions : l'une sociale, exprimant ce qui concerne une cour, l'autre morale, désignant la qualité d'un individu. Ces significations sont liées à un style de vie qui se constitue dans la civilisation occidentale au xiie siècle. Des rapports sociaux nouveaux s'établissent au sein des collectivités matériellement liées à la cour de riches seigneurs. Simultanément s'amorce un processus d'émancipation de la jeunesse noble, les frontières du monde s'élargissent tant vers l'Islam que vers l'Extrême-Occident, et on assiste enfin à un développement des traditions populaires. Aussi, dans la civilisation du Nord (française) comme dans celle du Midi (occitane), un affinement des mœurs et de la sensibilité se manifeste-t-il, que traduit le terme de courtoisie.

La morale courtoise

Réduite à ses traits fondamentaux, la morale courtoise comporte l'adhésion à un certain nombre de valeurs qui, selon les traditions locales ou même selon les individus, s'orientent soit vers la création ou la reproduction de formes belles (dans l'ordre des pensées, des sentiments, des conduites, du choix ou de la fabrication des objets), soit vers la rectitude d'une action (rectitude appropriée au mode de vie particulier de la cour). Ces deux tendances ne peuvent du reste être tout à fait dissociées : il s'établit entre elles une sorte de dosage variable.

Sous cette réserve, on peut définir la courtoisie comme un art de vivre et une élégance morale ; une politesse de conduite et d'esprit fondée sur la générosité, la loyauté, la fidélité, la discrétion, et qui se manifeste par la bonté, la douceur, l'humilité envers les dames, mais aussi par un souci de renommée, par la libéralité, par le refus du mensonge, de l'envie, de toute lâcheté. Deux termes complémentaires, sans cesse associés, en expriment la notion : corteisie (cortezia), qui désigne plutôt les aspects intérieurs, modestie et contrôle de soi, équilibre entre le sentiment et la raison, volonté de conformation aux idéaux reconnus d'un milieu déterminé : la cour ; et mesure (mezura), marquant plutôt les aspects extérieurs, modération du geste, domination des mouvements passionnels, soumission spontanée à un code qui, au xiie siècle, requiert un élan du cœur plutôt que l'obéissance à une étiquette (d'où l'importance de signes empruntés aux rites juridiques de la haute féodalité, et non encore banalisés : le salut, le baiser de paix, le congé). Autour de ces mots clés s'organise un vocabulaire typique : droiture, qui est équilibre entre les exigences de l'esprit et l'action du corps ; sens, qui est raison pondératrice ; et les termes dénommant la possession parfaite des qualités courtoises, relativement à celui même qui les possède (valor) ou à la cour qui les reconnaît en lui (pris, en provençal : pretz). L'adjectif courtois prend, dans cette perspective, une nuance impliquant l'appartenance à une élite. Il est couramment associé à riche et gentil, qui tous deux signifient à peu près « noble ».

En provençal s'ajoute à cette terminologie un mot auquel rien ne correspond en français, et dont l'interprétation n'est pas absolument assurée : joven. Le mot, d'usage surtout fréquent durant la première phase de la courtoisie, jusque vers 1150, provient du latin juventus ; mais il ne désigne, sauf exception, ni la jeunesse d'âge ni la tournure d'esprit attribuée aux jeunes gens. Il semble bien qu'il ait été détourné de son sens primitif sous l'influence de l'arabe futuwwa qui, signifiant proprement « jeunesse », en était venu à désigner par métaphore des confréries d'hommes pratiquant la générosité et l'amour du beau. La valeur du mot est plus[...]

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Écrit par

  • : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Paul ZUMTHOR. COURTOISIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

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Le Roman de la Rose

Autres références

  • ‘ABBĀS IBN AL-AḤNAF AL- (748 env.-env. 808)

    • Écrit par Régis BLACHÈRE
    • 431 mots

    À la différence des autres poètes de son temps, al-‘Abbās s'est refusé à n'être qu'un amuseur ou un panégyriste. Il est plutôt le chantre de l'amour, de l'espérance qui le voit naître, des déchirements qui le voient finir. Toutefois cet élégiaque demeure dans les limites de l'« esprit courtois »...

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    ...courtoises d'œuvres françaises, Énéide (vers 1170-1190) où Heinrich von Veldeke « ente la première greffe sur l'arbre de la poésie allemande ». Entre 1185 et 1205, Hartmann von Aue, le premier des grands classiques du roman courtois, introduit dans son pays les romans de la Table ronde et du...
  • ANDRÉ LE CHAPELAIN (XIIe-? XIIIe s.)

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 1 056 mots

    Condamné, en 1277, par l'évêque de Paris, Étienne Tempier, le De amore d'André le Chapelain n'a pas fini d'alimenter les controverses sur le sens de l'ouvrage et l'identité de l'auteur. Le livre présente une facture antithétique, la première partie célébrant...

  • ARABE (MONDE) - Littérature

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Hachem FODA, André MIQUEL, Charles PELLAT, Hammadi SAMMOUD, Élisabeth VAUTHIER
    • 29 245 mots
    • 2 médias
    ...en grande partie cette poésie de la liberté. Au-delà de la diversité des situations et des variations de registre, on peut suivre l'évolution du poème d'amour qui va mettre au point ses langages. Celui de l'amour impossible ou brisé que mettent en scène les couples, célèbres désormais, de Maǧnūn et Layla,...
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Voir aussi