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IMMANENCE ET TRANSCENDANCE

Le problème traditionnel de l'immanence et de la transcendance se pose aujourd'hui en termes de pouvoir et non plus de référence intellectuelle ou ontologique. Ce qui est en question, c'est la nature et l'étendue du pouvoir scientifique, politique, philosophique, de l'humanité sur elle-même : peut-elle désespérer et s'abandonner à des forces supérieures et extérieures qui la détermineraient comme une chose ? La même question se pose dans les mêmes termes pour l'existence individuelle : trouve-t-elle son origine et sa fin en elle-même ou au-dessus d'elle-même ? Le sens et la liberté sont-ils immanents ou bien transcendants ?

Un aspect concret de cette problématique est la question de l'histoire : l'homme accomplit-il lui-même son histoire, son sens et sa puissance, ou bien au contraire le temps, qui est l'immanence même, se transmue-t-il nécessairement en une histoire transcendante, construisant son édifice à l'insu de l'homme et contre lui ? La même idée vaut pour les sciences et les techniques. La forme moderne de la transcendance serait dès lors l' aliénation ; ou, inversement, l'aliénation économique, technique, politique (voire psychologique, si l'on songe à l'inconscient et aux inadaptations) serait la vraie signification de la transcendance, l'immanence devenant la conquête progressive de soi-même, par la réduction des forces extérieures et supérieures. L'immanence doit devenir l'univers et la demeure de l'homme et non plus son néant, son angoisse ou, plus simplement et dramatiquement, son ennui lassant, son absurdité sans fin, son impuissance et sa misère.

N'est-il pas vrai, en effet, que la conscience moderne a mis fin au règne des arrière-mondes ? N'est-il pas vrai, en même temps, que cette même conscience, avertie de son pouvoir, n'envisage plus guère l'expérience d'une manière platement empirique et sensible ? Il y a dans ces éléments matière à une nouvelle position du problème, où l'homme se débarrassera des fantômes religieux de l'immanence et de la transcendance pour se retrouver enfin lui-même, existant et réfléchissant, placé vraiment devant les problèmes purifiés de la liberté et du sens.

Le réalisme métaphysique et religieux

Dans l'esprit de la métaphysique classique, depuis Platon, les deux notions d'immanence et de transcendance sont liées (que ces termes soient présents ou non), s'impliquant l'une l'autre comme des contraires qui s'appellent et s'excluent. L'idéalisme platonicien peut servir de paradigme ou d'exemplaire pour éclairer leur signification. C'est à partir et au moyen du platonisme que la métaphysique classique (le spinozisme excepté) a pu réaliser (chosifier, durcir et prendre au pied de la lettre) ces deux notions antithétiques. L'immanence désignait l'intériorité de ce monde-ci, l'ensemble des êtres qui résidait en ce monde et le constituait selon l'ordre « inférieur » de la sensibilité, de la temporalité, de la contingence et de la finitude. Cet ordre ne trouvait sa place et son sens que par référence à un tout autre ordre conçu comme transcendant, c'est-à-dire à la fois « supérieur » et radicalement distinct et séparé. Le transcendant, ou absolu, comme idéalité, éternité et perfection, relativisait donc ce monde-ci et le donnait comme ce qui manquait de perfection, d'idéalité et de permanence. Monde sensible du devenir et de la contingence, il était l'« inessentiel » (pour reprendre la terminologie hégélienne). L'unification impossible des deux mondes devenait l'origine du malheur et de l'aliénation de la conscience. Tout était décentré et la vraie vie, le vrai monde se trouvaient « ailleurs ». Le transcendant, qui était d'abord le monde connaissable et lumineux des Idées,[...]

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Pour citer cet article

Robert MISRAHI. IMMANENCE ET TRANSCENDANCE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Schopenhauer - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Schopenhauer

Autres références

  • ABSOLU

    • Écrit par Claude BRUAIRE
    • 4 222 mots
    Aussi bien la « transcendance » de Dieu n'est-elle qu'une image provisoire, dont l'usage pédagogique ne doit point faire illusion. La transcendance n'est pas un dépassement de l'en-deçà par l'au-delà, elle n'est pas l'index d'un autre monde ou d'un arrière-monde. Elle ne doit désigner, négativement,...
  • ALIÉNATION

    • Écrit par Paul RICŒUR
    • 8 006 mots
    ...éloigné, séparé du monde, qui domine l'homme comme un maître et duquel ne participe rien de créé, rien d'humain ; le terme fremd désigne ici le moment de transcendance, le contraire de la participation du fini à l'infini, l'extériorité qui opprime et qui écrase ; la relation maître-esclave est installée...
  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    Ce Premier Moteur peut-il être assimilé sans difficulté au Dieu transcendant dont Aristote semblait pressentir l'existence à travers la structure intelligible (c'est-à-dire, en fait, mathématique) du Ciel étoilé ? Au livre VIII de la Physique, la transcendance du Premier Moteur semble...
  • BATESON GREGORY (1904-1980)

    • Écrit par Daniel de COPPET
    • 3 295 mots
    La relation hiérarchique doit être comprise comme incluant des « circuits » complets. À l'opposition entre immanence et transcendance, l'épistémologie cybernétique propose, avec Bateson, de substituer une approche nouvelle par où « l'esprit individuel est immanent, mais pas seulement dans le corps....
  • Afficher les 28 références

Voir aussi