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BLASPHÈME

Les opinions publiques s’affrontent de longue date à propos de la liberté de tenir des propos blasphématoires, et sur les éventuels excès que peut entraîner cette liberté. L’affaire des « caricatures de Mahomet », publiées d’abord au Danemark en 2005, a donné une nouvelle vigueur à cette polémique. Considérer la question du point de vue du droit donne un cadre concret au débat. Comprendre comment la loi et les juridictions abordent la question du blasphème au fil des siècles, dans les droits nationaux contemporains ou dans les conventions internationales permet d’aborder autrement que du point de vue de la simple opinion une question qui relève d’abord de la loi et de son application par les tribunaux.

Le mot « blasphème » désigne une action ou un discours hostile ou irrespectueux envers un dogme, une personne ou un objet vénéré par les fidèles d’une religion. Le terme est également utilisé de manière imprécise en référence à l’interdiction – ou à la non-interdiction – de ce type de comportement : on dira ainsi que « le blasphème n’existe pas en droit français », pour affirmer qu’il ne fait pas l’objet d’une interdiction juridique en France. De fait, cette restriction de la liberté d’expression tend à disparaître dans les sociétés occidentales, mais elle y persiste néanmoins sous différentes formes, et ses effets dépendent grandement de la manière dont elle est appliquée. Si la compatibilité des lois contre le blasphème avec la liberté d’expression est indiscutablement sujette à caution, celles-ci ne doivent pas être confondues avec les restrictions qui visent les propos hostiles aux croyants : la distinction entre le blasphème et le discours de haine est en effet devenue une question centrale. Un autre aspect du débat, qui sort du champ juridique, porte sur l’opportunité qu’il y aurait à tenir des propos blasphématoires, quand bien même ceux-ci sont ou seraient autorisés par la loi.

La disparition progressive de l’incrimination du blasphème en Occident

Dans la Grèce antique, le manque de respect envers les dieux pouvait conduire à la mort. Le procès de Socrate et sa condamnation à la peine capitale en sont l’illustration la plus connue. Si les Grecs ne parlaient pas à cet égard de « blasphème », mais d’« asébie » – άσέβεια, l’incrimination retenue contre Socrate –, le terme apparaît dans la traduction latine du troisième livre de la Bible, le Lévitique (24, 14-16) : « Fais sortir du camp le blasphémateur ; tous ceux qui l'ont entendu poseront leurs mains sur sa tête, et toute l'assemblée le lapidera. Tu parleras aux enfants d'Israël, et tu diras : “Quiconque maudira son Dieu portera la peine de son péché. Celui qui blasphémera le nom de l'Éternel sera puni de mort : toute l'assemblée le lapidera. Qu'il soit étranger ou indigène, il mourra, pour avoir blasphémé le nom de Dieu.” »

La bête de l’Apocalypse - crédits : Princeton Theological Seminary Library/ Internet Archive Book Images/ Flickr : CC0

La bête de l’Apocalypse

<it>Jésus devant Caïphe</it>, Giotto - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

Jésus devant Caïphe, Giotto

Monument au chevalier de La Barre - crédits : History and Art Collection/ Alamy/ Hemis

Monument au chevalier de La Barre

En Europe, le blasphème est puni de la peine de mort jusqu’à la fin du xviiie siècle, même si la réalité des exécutions varie selon les pays. Les cas de Michel Servet, brûlé à Genève en 1553 à l’instigation du réformateur Jean Calvin, et surtout celui du chevalier de La Barre, décapité à Abbeville, dans le nord de la France, en 1766, ont marqué les esprits. Le supplice de ce jeune homme, sauvagement exécuté pour avoir tailladé un crucifix et ne pas s’être découvert devant une procession religieuse, avait scandalisé Voltaire. Après ce « procès de trop » (de Saint Victor,2018), ce « point de rupture » (Weil, 2021), le triomphe des idées des Lumières portées par la Révolution française conduit à l’abolition du délit de blasphème. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantit la liberté d’expression et affirme, dans son article 10, que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions,[...]

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Pour citer cet article

Thomas HOCHMANN. BLASPHÈME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

« Sainte Capote, protège-nous », affiche de l’association Aides (2003) - crédits : Aides , Toulouse, 2003

« Sainte Capote, protège-nous », affiche de l’association Aides (2003)

Monument au chevalier de La Barre - crédits : History and Art Collection/ Alamy/ Hemis

Monument au chevalier de La Barre

Manifestation au Bangladesh contre Taslima Nasreen - crédits : Mufty Munir/ AFP

Manifestation au Bangladesh contre Taslima Nasreen

Autres références

  • CARICATURE

    • Écrit par Marc THIVOLET
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    En septembre 2005, la publication par un quotidien danois d'un ensemble de caricatures du Prophète Mahomet provoque une violente réaction du monde musulman. En février 2006, au nom de la liberté d'expression, Charlie Hebdo prend alors l'initiative de publier à son tour ces caricatures....
  • CENSURE

    • Écrit par Julien DUVAL
    • 6 228 mots
    • 1 média
    ...contrôle tout ce que l'on veut, fût-ce immoral et dangereux pour les âmes ». C'est ainsi que L'Âge d'or (1930) de Luis Buñuel reste interdit en France jusqu'en 1981, et que son Viridiana (1961),jugé également blasphématoire, subira le même sort en Espagne, en Italie et en Suisse.
  • CHARLIE HEBDO

    • Écrit par Yves FRÉMION
    • 995 mots
    • 4 médias

    Le journal Charlie Hebdo est né de l’interdiction de la publication de Hara-Kiri Hebdo en 1970.

    À la suite des événements de Mai-68, le monde du dessin de presse subit un changement radical. Le dessin d'humour était jusqu’à lors dominé par des publications familiales, à l'esprit conservateur,...

  • MUSULMAN DROIT

    • Écrit par Pascal BURESI
    • 4 398 mots
    • 2 médias
    ...important dans l'évolution des courants théologiques et juridiques musulmans. En effet, cette décision – condamner l'auteur des Versets sataniques pour blasphème – est révolutionnaire du point de vue du droit musulman. Elle étend la compétence des docteurs de la loi musulmane aux citoyens d'un État laïque,...
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Voir aussi