MINNELLI VINCENTE (1903-1986)
La « tentation du rêve » et la menace de la folie
Minnelli a déclaré qu'il adoptait la même approche pour un drame que pour une comédie musicale. Ce parti pris permet de mieux comprendre l'ensemble de ses films comme une « peinture de la vie rêvée ». Ses héros transforment leur existence en rêve vécu (ainsi Madame Bovary) ou ils tentent de le faire, par l'art notamment (ainsi dans Lust for Life, qui retrace la vie de Van Gogh, de meilleure façon qu'on ne l'a dit) ; ou bien ils s'installent d'emblée dans l'art et nous y installent avec eux (voir l'ensemble des comédies musicales). Les deux limites de ce riche éventail de possibilités sont fournies par Brigadoon (un monde imaginaire peut être rejoint au cœur même de celui-ci) et par les films sur le cinéma (consacrés plus exactement à la vie des stars, qui mêle inextricablement réel et imaginaire). La conclusion de Brigadoon est d'un optimisme ludique, d'ailleurs émouvant, celle des films sur le cinéma est ambiguë, voire sombre.
Le style de l'esthète Minnelli est bien entendu d'apparence ornementale. Le choix de certains rideaux commande le succès d'une cure psychanalytique dans La Toile d'araignée. Les chevaux de Marly, place de la Concorde, sont employés en rime visuelle de ceux de la vision de l'Apocalypse dans Les Quatre Cavaliers (et ceux-ci sont annoncés par les chevaux de bronze qui décorent discrètement un devant de cheminée dans la première séquence). On peut même soutenir que ce style est encore assez impersonnel dans ce somptueux gâteau d'anniversaire qu'est Ziegfeld Follies. Dans Un Américain à Paris même, l'imagination de Minnelli s'exprimerait surtout par le truchement des peintures célèbres qu'il utilise en toile de fond d'un ballet de vingt minutes (le plus long final tourné à cette date), n'était la chorégraphie plus intime du pas de deux au bord de la Seine, et surtout l'ambiance de mélancolie romantique qui baigne l'aventure de Gene Kelly.
Le style de Vincente Minnelli s'est donc déplacé sans problème, et avec un bonheur presque égal, de la comédie musicale à la comédie « mondaine » ou intimiste (ainsi le délicieux Il faut marier papa, où, d'ailleurs, le monde est vu à travers les yeux d'un enfant imaginatif). Il va même jusqu'au mélodrame et au drame mondain, pour s'accomplir, en fait, dans deux films tragiques qui abordent le problème, jusque-là éludé, de la responsabilité morale de l'artiste (Quinze Jours ailleurs) ou du dilettante (Les Quatre Cavaliers). L'unité de l'inspiration n'est pas fonction des genres, et ce sont ses propres limites qui déterminent la part de réussite ou d'échec du cinéaste.
Tout n'est pas également heureux dans les premières incursions de Minnelli hors du film musical. Seule la verve de Spencer Tracy maintient au-dessus du médiocre Le Père de la mariée, et Comme un torrent pâtit des effets trop appuyés du drame final. En général, aux prises avec le réalisme provincial, ou même new-yorkais (Un numéro du tonnerre, essai de film musical populiste, ne fait pas exception), Minnelli est assez peu à son aise. Il se heurte à certains problèmes de « jeu » et de liaison entre l'acteur et l'environnement. On peut noter à ce propos que si, pris globalement, Madame Bovary trahit l'esprit de Flaubert, l'actrice (Jennifer Jones) le retrouve. En outre, Minnelli s'est trouvé désemparé devant l'avènement du scope, dès qu'il s'agit de filmer un personnage isolé, dont l'inscription dans le décor n'est ni affirmée ni niée. Ce qui n'empêche ni Les Quatre Cavaliers ni même Le Chevalier des sables, avec son prologue panthéiste, d'être de fort beaux films, qui ont bien résisté au piétinement de la critique. Feuilleton[...]
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
Classification
Médias
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