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VALEURS, sociologie

Plus encore que les normes, les valeurs font aujourd'hui partie de ce vocabulaire de la sociologie qui s'est progressivement imposé dans le langage courant pour désigner des idéaux ou principes régulateurs des meilleures fins humaines, susceptibles d'avoir la priorité sur toute autre considération. Ce sens actuel de la valeur s'écarte des usages économiques ou mathématiques plus classiques du terme, mais ne contredit pas son étymologie : valere qui, en latin, signifie « être fort », puisque c'est bien la puissance de certains idéaux qui semble devoir assurer leur prévalence. La tradition sociologique a fait du prédicat de valeur, originellement attaché à un sujet individuel – par exemple la valeur d'un homme au combat –, une sorte d'entité souveraine reconnue comme telle par une collectivité humaine.

Max Scheler - crédits : ullstein bild/ Getty Images

Max Scheler

Chez quelques précurseurs britanniques de la sociologie, comme Adam Smith, certains aspects du sens moderne sont présents à travers la figure d'un spectateur impartial qui légitime l'approbation ou la désapprobation collective des actions particulières (Théorie des sentiments moraux, 1759). Mais la philosophie des valeurs, sous sa forme idéalisée, a une origine allemande. Selon cette tradition, la valeur est attachée à une culture où elle désigne ce qui, dans cette culture, reçoit une signification particulière ou, suivant Max Scheler, certaines qualités abstraites qui font l'objet d'une intuition ou d'une perception affective (Le Formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs, 1916). C'est cependant surtout à Max Weber et à son étude du rôle de l'éthique protestante dans le développement du capitalisme que la notion de valeur doit son statut de catégorie sociologique cruciale (L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, 1905). La notion s'est ensuite imposée dans la sociologie américaine, notamment avec Talcott Parsons (The Structure of Social Action, 1937), au sens d'une orientation vers des fins capable de justifier les normes sociales existantes. On considère en effet que si les normes ont un caractère obligatoire et relèvent donc surtout du devoir et de la sanction, les valeurs ont plutôt un caractère attractif, ce qui les rapproche de la notion philosophique du bien.

Polythéisme des valeurs ?

Si, dans une culture donnée, les valeurs sont des biens jugés dignes d'être recherchés, on peut alors les considérer comme irréductiblement « relatives », car toutes les cultures ne poursuivent pas les mêmes fins. De plus, les biens sont généralement liés à des préférences « subjectives » ou en tout cas contingentes, qui ont toutes chances de varier suivant les individus et les groupes. Les valeurs des uns ne seront donc pas forcément les valeurs des autres, et les groupes humains pourront ne pas partager des valeurs auxquelles chacun d'eux accorde pourtant une importance immense. La diversité des cultures et celle des biens concourent ainsi l'une et l'autre à établir ce « polythéisme des valeurs », dont Weber empruntait l'idée à John Stuart Mill. Au demeurant, même si les valeurs ne sont pas « relatives », elles ne sont certainement pas observables comme le sont des actions, des événements ou des individus. Elles relèvent en effet de ce qu'on souhaite ou de ce qui pourrait être et non pas de ce qui est. À ce titre, elles ne sont pas des faits comme le sont les événements matériels qui organisent la vie sociale des êtres humains. Lorsque, malgré tout, on associe une valeur à quelque chose (une fin, un comportement ou un individu), on ne sait pas si cette valeur appartient intrinsèquement à l'être en question ou si elle lui est, comme on dit, « attribuée » par une décision subjective ou extérieure.

La célèbre conclusion que Max Weber a tirée de ces difficultés est celle[...]

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Pour citer cet article

Patrick PHARO. VALEURS, sociologie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Max Scheler - crédits : ullstein bild/ Getty Images

Max Scheler

Autres références

  • ABSTENTIONNISME

    • Écrit par Daniel GAXIE
    • 6 313 mots
    • 3 médias
    Pour toutes ces raisons,l'acte de vote est hautement valorisé, au moins du point de vue des principes officiels les plus révérés. Les élections sont une importante cérémonie civique, nationale et démocratique à laquelle beaucoup de citoyens pensent qu'il est difficile de ne pas participer, même quand...
  • ANOMIE

    • Écrit par Raymond BOUDON
    • 4 002 mots
    • 1 média
    En résumé, il y a anomie au niveau de la division du travail social lorsque la coopération est remplacée par le conflit et la concurrence, etlorsque les valeurs qu'acceptent ou les buts que se fixent les individus cessent d'être collectifs pour devenir de plus en plus individualisés. Notons en...
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    • Écrit par Shmuel Noah EISENSTADT
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    L'aspect premier, l'aspect fondamental de ce premier contact, c'est le développement devaleurs et d'aspirations compatibles avec les valeurs et les attitudes de la société d'accueil et susceptibles de trouver leur réalisation en son sein. Un second aspect de ce processus, c'est la création de nouveaux...
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    • Écrit par Olivier CORNEILLE
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    Afin de mieux comprendre et prédire leur environnement, les individus tentent régulièrement d’identifier les causes responsables d’événements physiques et de comportements sociaux. L’attribution causale concerne les processus psychologiques impliqués dans ce raisonnement. Elle peut également...

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Voir aussi