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TRANSCENDANTALISME

Transcendantalisme dépend de « transcendantal », mot qui a été inventé au début du xive siècle pour distinguer de « transcendant » (est transcendant « tout objet qui est objet pour la conscience, vers lequel la conscience „s'éclate“ » [Sartre]) les caractéristiques (un, vrai, bon) qui appartiennent à tout étant, objectif ou subjectif. La théorie des transcendantaux a été développée au Moyen Âge, puis abandonnée. Emmanuel Kant (1724-1804) a repris le mot pour désigner ce qui appartient à la faculté de connaître comme telle, ses conditions de possibilité a priori, indépendamment des circonstances empiriques de son effectivité, repliant ainsi les critères de l'absoluité vers l'immanence spirituelle. Toutefois, ces conditions de possibilité s'ouvrent, dans son Opus postumum, à quelque ultérieur pur et non empirique dont l'esprit a conscience et qui conditionne en dernier ressort toute connaissance effective. Kant veille cependant à éviter toute dérive mystique et toute confusion du transcendantal avec le transcendant.

Un courant intellectuel américain s'est dénommé transcendantalisme. Lancé par Ralph Waldo Emerson (1803-1882), fondateur en 1836 à Concord (Massachusetts) d'un Transcendental Club, il réagissait au positivisme matérialiste de l'époque. L'idéalisme de Fichte et Schelling y était de référence, mais l'inspiration venait des poètes et des exposés de l'idéalisme allemand par Mme de Staël (De l'Allemagne est traduit à New York dès 1814) et Victor Cousin (Introduction à l'histoire de la philosophie, traduit à Boston en 1832). Selon Emerson, le savoir des formes kantiennes manifeste que l'esprit a l'intuition de son autotranscendance. Ce transcendantalisme, qui embrassait tous les aspects de la vie culturelle, visait un nouvel humanisme mais était peu critique. Selon Nietzsche (1844-1900), Emerson est l'un « de ceux qui ne se nourrissent instinctivement que d'ambroisie et qui laissent de côté ce qu'il y a d'indigeste dans les choses » (Le Crépuscule des idoles, 1888).

Le mot transcendantalisme, du point de vue critique, désigne toute « doctrine qui admet des formes et des concepts a priori qui dominent l'expérience » (A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1912), mais sans mysticisme. Cette doctrine kantienne a été reprise, en dialogue avec Thomas d'Aquin, par Joseph Maréchal (1878-1944), initiateur d'un courant spéculatif continué en Allemagne par, entre autres, Karl Rahner (1904-1984) et Johannes-Baptist Lotz (1903-1992). Maréchal entendait dépasser le formalisme kantien en direction d'un réalisme critique en considérant les conditions de possibilité de l'acte de connaissance plutôt que de ses puissances formelles. Il avait noté l'importance accordée par Kant au progrès de la connaissance de la sensibilité à la raison, mais sans que le philosophe allemand puisse légitimer par là l'affirmation du réel en lui-même ; il manque en effet aux vues de Kant une compréhension entière du dynamisme intellectuel ; pour cela, il faut mettre en effet en évidence, dès le savoir sensible, l'être comme cause finale de tout le progrès cognitif.

Rahner est plus connu comme théologien catholique que comme philosophe. Selon lui, tout discours sur Dieu s'appuie inévitablement sur un discours où l'homme exprime le savoir qu'il a de lui-même. Par ailleurs, la méthode transcendantale montre que le discours anthropologique ne se ferme pas sur l'homme mais oriente vers un plus dont on ne peut pas prévoir l'avènement révélateur. Rahner distingue à ce propos le « catégorial » et le « transcendantal ». Le catégorial organise notre compréhension de l'expérience sensible ; il articule nos jugements prédicatifs de manière à rendre intelligible,[...]

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Écrit par

  • : professeur ordinaire à l'Université grégorienne, Rome

Classification

Pour citer cet article

Paul GILBERT. TRANSCENDANTALISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • EMERSON RALPH WALDO (1803-1882)

    • Écrit par Maurice GONNAUD
    • 1 559 mots
    ...le deuxième tiers du xixe siècle. Son premier ouvrage, Nature, paraît en 1836. Il est acclamé par quelques-uns, vilipendé par le plus grand nombre. En quelques mois le voici devenu, plus ou moins à son corps défendant, la figure de proue du transcendantalisme : la génération nouvelle le reconnaît...
  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Le territoire et les hommes) - Géographie

    • Écrit par Jacqueline BEAUJEU-GARNIER, Catherine LEFORT, Laurent VERMEERSCH
    • 19 922 mots
    • 19 médias
    ...siècle d'une volonté de préserver la nature sauvage qui devient un élément fondamental de l'identité américaine, notamment par opposition à l'Europe. Le mouvement transcendantaliste, représenté par Ralph Waldo Emerson ou par Henry David Thoreau qui considérait la communion avec la nature comme un des...
  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Marc CHÉNETIER, Rachel ERTEL, Yves-Charles GRANDJEAT, Jean-Pierre MARTIN, Pierre-Yves PÉTILLON, Bernard POLI, Claudine RAYNAUD, Jacques ROUBAUD
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    ...les plus divers, ceux d'un pêcheur cubain pour Hemingway ou ceux d'un caporal de l'armée française pour Faulkner. C'est ici l'essence même de l'attitude transcendantaliste, une recherche intuitive de la réalité sous les apparences et une expression de cette réalité sous la forme d'une métaphore organique....
  • FEUILLES D'HERBE, Walt Whitman - Fiche de lecture

    • Écrit par Claude-Henry du BORD
    • 860 mots
    • 1 média

    Walt Whitman (1819-1892) est considéré comme le plus grand poète américain. De son vivant, cet anticonformiste a été célébré comme un génie ou traité d'écrivain obscène. Comme son compatriote Emerson (1803-1882), initiateur d'un mouvement philosophique, le « transcendantalisme », Whitman croit en...

Voir aussi