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HOBBES THOMAS (1588-1679)

De l'état de nature à l'omnipotence du souverain

C'est sur ces bases, estime Hobbes, que peut désormais être élaborée une véritable science de la morale et de la politique, à partir de l'expérience raisonnée des mouvements des corps et de l'esprit. Ce qu'Euclide a fait pour la géométrie et Galilée pour la physique, lui s'estime en mesure de le faire pour la politique, et ce sera la première science politique accomplie.

Dans un système nominaliste, il faut bien partir des individus qui disposent tous de forces, tant physiques que spirituelles, pratiquement égales, puisque le plus faible a toujours assez de force pour tuer le plus fort. Or chacun, mû par son propre mouvement vital qui tend à se conserver indéfiniment par inertie naturelle et qui se traduit par le désir de durer, tend à s'emparer de tout ce qui, selon les calculs de sa raison, peut lui permettre de survivre. Entre les individus qui coexistent s'établit à partir de cet état primordial d'égalité, qui est l'état même de la nature, un système d'équilibre, résultat de la composition mécanique des désirs, des craintes et des forces en présence. Né du désir et de la crainte, de la défiance rationnelle de chacun à l'égard de chacun, cet état, où chacun a un droit légal sur toutes choses, et même sur le corps de l'autre, est un état de guerre strictement conforme, pour chacun, à un calcul correct de sa raison. Chacun, tout en s'efforçant d'accumuler le plus de puissance possible, demeure pratiquement égal à chacun des autres. Une égale menace réciproque pèse sur tous. État d'équilibre, l'état de nature est un état d'instabilité, d'insécurité et de misère. Il ne comporte ni société, ni agriculture, ni industrie, ni justice, ni injustice, ni lettres, ni arts, ni sciences d'aucune sorte. Chacun, en proie à une crainte continuelle et au risque de la mort violente, vit une vie solitaire, misérable, bestiale et brève. D'où la formule célèbre : dans l'état de nature, « l'homme est un loup pour l'homme ».

À ce point de misère et de malheur, la crainte de la mort suffit à déterminer chacun à s'imposer n'importe quel sacrifice, pourvu que sa vie soit sauve et sûre. La loi de nature, qui n'est rien d'autre qu'un théorème de la raison, une droite ratiocination, répond au désir éprouvé par chacun de se conserver soi-même, en proposant à tous la paix pour but, avec le moyen d'y parvenir. Si l'égalité et l'équilibre ne suscitent qu'un désordre en perpétuelle insécurité et instabilité, il est évident que, seule l'inégalité, et le déséquilibre qu'elle installe, permet d'instaurer un ordre constant, stable, assuré. Le seul moyen de la paix est d'ériger un pouvoir commun tout-puissant qui imposera sa loi à tous dans la communauté politique et, du même coup, assurera un ordre et une paix. Pour y parvenir, il faut que, par une sorte de contrat, chacun s'accorde avec chacun pour renoncer au droit de se gouverner lui-même et pour remettre tout son pouvoir aux mains d'un seul homme, en lui reconnaissant un pouvoir souverain constitué de la somme des pouvoirs de tous, afin qu'il en use comme il le juge expédient, pour leur paix à tous et leur commune défense.

Ainsi se trouve institué le souverain, qui dispose d'un pouvoir absolu, unique, indivisible, irrésistible. Les citoyens demeurent liés par le contrat, lui seul ne l'est pas, car il n'a contracté avec personne. Sa légitimité ne tient qu'à sa toute-puissance désormais. Il est au-dessus de tous les pouvoirs ; il n'a pas de devoirs, il n'a que des fonctions. Il est au-dessus des lois et au-dessus des droits, puisqu'il fait les lois et qu'il octroie les droits. Il n'est même pas tenu par une loi naturelle, puisqu'il[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Classification

Pour citer cet article

Raymond POLIN. HOBBES THOMAS (1588-1679) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Léviathan</em>, T. Hobbes - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

Léviathan, T. Hobbes

Autres références

  • LÉVIATHAN, Thomas Hobbes - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 956 mots

    S'il fut publié en 1651 en anglais, le Léviathan ou La Matière, la forme et la puissance d'un État ecclésiastique et civilconnut une version latine donnée par Thomas Hobbes (1588-1679) lui-même en 1668. C'est à juste titre que l'on peut considérer cet ouvrage comme le texte fondateur...

  • ABSOLUTISME

    • Écrit par Jacques ELLUL
    • 4 286 mots
    ...aucune opposition ni aucune discussion. Que pourrait opposer le particulier au bien général et à la vérité ? C'est finalement à ce point que nous conduit Hobbes par le renversement célèbre, lorsque partant de l'individualisme le plus total, fondé sur la peur individuelle, il aboutit à l'État total qui seul...
  • ALIÉNATION

    • Écrit par Paul RICŒUR
    • 8 006 mots
    ...maître, bref, s'il ne doit pas engendrer un pacte de sujétion, il faut que cet acte soit un acte d'association. Mais de quelle nature ? C'est ici que Hobbes introduit une expression qui, traduite, reprise et corrigée par Rousseau, deviendra l'aliénation. Dans le contrat selon Hobbes, chaque membre du...
  • CHANGEMENT SOCIAL

    • Écrit par François BOURRICAUD
    • 5 805 mots
    • 1 média
    ...de marquer à la fois les sources de cette conception et les prolongements qui en assurent la permanence jusque dans les travaux de nos contemporains. Hobbes (1588-1679) et Rousseau (1712-1778) avaient, chacun à leur manière, souligné que l'ordre social se construit à partir d'un certain nombre de pressions...
  • CONTRAT SOCIAL

    • Écrit par Michel TROPER
    • 4 449 mots
    Le système de Hobbes repose sur un double postulat. Les hommes sont égoïstes et ne recherchent que leur satisfaction individuelle. Ils sont égaux car le plus faible peut menacer la sécurité du fort. Ce qui caractérise l'état de nature, c'est donc la méfiance mutuelle et la guerre de tous contre tous....
  • Afficher les 26 références

Voir aussi