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CATASTROPHES THÉORIE DES

La théorie des catastrophes est apparue sur la scène scientifique et philosophique mondiale en 1972, lors de la publication retentissante du livre de René Thom : Stabilité structurelle et morphogenèse. Cet événement a suscité un ample débat théorique et l'on peut d'ores et déjà le considérer comme l'amorce d'une rupture épistémologique.

Un survol de cette singulière conjoncture (qu'il faudrait analyser au niveau de la sociologie des sciences) montre qu'elle est l'effet de l'intrusion brutale de mathématiques fondamentales dans des régions réputées non formalisables et traditionnellement vouées à la langue naturelle. Comme si la séparation tranchée entre sciences quantitatives exactes et sciences descriptives « anexactes » se trouvait soudain remise en cause dans ses principes mêmes ; comme si l'immense champ phénoménologique (sociologie, psychologie, éthologie, biologie, linguistique, psychanalyse), où le raffinement expérimental ne se soutenait jusqu'ici que de formalisations substitutives (simulations informatiques, traitements statistiques, etc.), se trouvait soudain réarticulé à une formalisation réelle ; comme si le primat, qui semblait absolu, de l'affinité d'essence entre mathématiques et physique se trouvait soudain renversé ; comme si la géométrie rencontrait un « point de rebroussement » qui la déliait de l'objet pour la relier au sens ; comme si une opération dialectique latente depuis l'origine grecque de la pensée, constamment invoquée et anticipée par la philosophie et constamment révoquée et différée par la science, achevait enfin son temps d'incubation et se trouvait soudain passer de l'impossible au réel.

Une telle avancée théorique ne va pas sans quelques confusions, d'autant plus que la sophistication mathématique des bases de la théorie en dissimule le véritable statut. On ne saurait en effet oublier que, si la théorie des catastrophes est un avènement, c'est celui d'une intelligibilité nouvelle de ce qu'est en dernière instance l'être spatio-temporel de la nature en général, être spatio-temporel dont on peut dire après coup que la physique ne formalise qu'une strate, évidemment fondamentale.

De l'algèbre à la géométrie et de la géométrie au monde

Né le 2 septembre 1923 à Montbéliard, élève du lycée Saint-Louis de Paris puis de l'École normale supérieure, docteur ès sciences mathématiques en 1951, professeur à la faculté des sciences de Strasbourg jusqu'en 1963, médaille Fields (l'équivalent mathématique du prix Nobel) en 1958, professeur permanent à l'I.H.É.S. (Institut des hautes études scientifiques, le Princeton mathématique français) depuis 1963, médaille Brouwer en 1970, grand prix scientifique de la Ville de Paris en 1974, élu à l'Institut en 1976, décédé le 25 octobre 2002 à Bures-sur-Yvette, René Thom est un des maîtres incontestés de la géométrie. Comme celle de Riemann, comme celle de Poincaré (dont il partage la perspective intuitionniste, synthétique, holiste et l'aversion corrélative pour le formalisme pur), son œuvre mathématique est dominée par une interrogation essentielle : le « retour » de l'algébrique vers le géométrique.

Si l'on reprend la succession de ses travaux de topologie algébrique et de topologie différentielle sur la théorie de Morse, sur les fibrés en sphères et les carrés de Steenrod, sur la cohomologie et la classification des variétés différentiables, sur le cobordisme, sur la théorie des enveloppes et surtout sur la structure des applications différentiables et des morphismes stratifiés ainsi que sur la stabilité structurelle et la transversalité, on peut y voir à l'œuvre une pensée qui consiste à faire opérer au cœur des problèmes les plus ardus de la géométrie un certain nombre d'intuitions, au départ[...]

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  • : ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur es lettres et sciences humaines, vice président de l'International Association for Semiotic Studies, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.

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