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STUC

Le mot « stuc », du longobard stukki, signifie dans cette langue morceau, croûte, mais l'usage lui a donné d'autres sens et il désigne un matériau ou un décor précis. Du point de vue technique, le stuc est un mortier à base de chaux qui peut être employé en architecture pour réaliser des enduits, et en sculpture pour des moulages et des rondes-bosses ; afin d'éviter toute ambiguïté, et pour le distinguer en particulier des enduits peints, le mot stuc s'applique aujourd'hui aux enduits travaillés en relief. Leur origine est à chercher dans le monde grec, et non en Égypte ou en Orient, comme a pu le faire croire la très ancienne connaissance du matériau dans ces régions. L'époque hellénistique voit en effet se dessiner une évolution importante dans l'emploi du stuc jusque-là présent dans les monuments archaïques et classiques pour enduire des reliefs sculptés dans une pierre de qualité médiocre : il s'affranchit progressivement de cette fonction de camouflage pour concourir au décor dont certaines parties vont être modelées ou moulées dans le stuc lui-même. Développé systématiquement à l'époque romaine, ce procédé donne naissance à une technique décorative spécifique qui consiste à couvrir les voûtes et les parois de reliefs historiés, et c'est ce rôle qui a valu au stuc d'entrer dans l'histoire de l'art occidental.

Composition, technique et ateliers

Le stuc n'obéit pas à une règle de composition unique, et sans analyse de laboratoire il est difficile d'en déterminer avec précision les constituants.

Selon Vitruve (De Architectura VII 3), un bon enduit opus tectorium – de tegere, recouvrir – est composé de chaux (carbonate de calcium) et de poudre de marbre, dans des proportions qu'il ne définit pas ; mais il insiste sur la qualité de la chaux, obtenue à partir de calcaires tendres et poreux, et précise que le mélange doit coller à la truelle. Il déconseille formellement le plâtre (sulfate de calcium), obtenu par la combustion du gypse, car il ne sèche pas uniformément, tandis que moins d'un siècle plus tard, Pline l'Ancien (Histoire naturelle 36, 183), au contraire, recommande le plâtre pour les corniches, sans doute à cause de son aptitude à être moulé. Toutefois, le plâtre est beaucoup moins résistant que la chaux et c'est pourquoi les Romains ont certainement préféré la chaux au plâtre, voyant dans le stuc le décor par excellence des lieux humides – thermes, hypogées. Les analyses effectuées donnent plutôt raison à Vitruve, mais au-delà des définitions canoniques, la composition varie selon la qualité recherchée et les matériaux dont on dispose sur place. Ainsi, plutôt que le marbre, on emploie souvent d'autres calcites, et il arrive même que l'on ajoute du sable, ce qui rend évidemment le mélange moins homogène et moins résistant. Le liant entre généralement à hauteur de 50 p. 100 dans le mélange. Même si opus albarium – de albus, blanc – semble désigner plus précisément le stuc que l'enduit peint, les textes n'indiquent pas de différence de composition entre l'enduit à peindre et l'enduit à travailler en relief ; mais il est attesté que l'on renforçait la blancheur de l'enduit en mélangeant des carbonates de calcium naturels ou des silicates, comme le paraetonium ou la terre de Sélinonte délayée dans du lait. On cherchait sans doute aussi, comme on le fera à l'époque moderne, à améliorer ses qualités plastiques ou à allonger le temps de séchage, peut-être par l'adjonction de matières organiques, difficilement décelables à l'analyse. L'Encyclopédie de Diderot mentionne le blanc d'œuf et les laitages pour augmenter la dureté de la chaux, et la colle pour accroître la plasticité du mélange, en l'occurrence de la colle de gélatine, fabriquée au xviiie siècle selon des techniques déjà connues des Romains.

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L'élaboration du décor comporte une phase préparatoire qui consiste, comme pour un enduit peint, à réaliser un support en superposant des couches de mortiers de plus en plus fins, jusqu'à la dernière en stuc proprement dit, qui constitue le fond sur lequel va s'élaborer le relief ; puis, sur cette surface encore fraîche, on incise à la pointe sèche le schéma du décor. Ces tracés préparatoires se laissent aisément lire lorsque le relief est tombé ; il va du simple repère pour les motifs ornementaux et répétitifs, au contour détaillé pour les personnages et motifs figurés. Les corniches sont toujours réalisées de la même manière : le profil – doucine, quart-de-rond, etc. – est façonné schématiquement dans un mortier grossier, et c'est dans la dernière couche, celle de stuc fin, qu'est réalisé au gabarit le profil définitif. Leur proéminence rend nécessaire le plus souvent un système d'accrochage qui prend des formes variées : clous, chevilles de bois ou d'os, enfoncés perpendiculairement à la paroi dans l'épaisseur du mortier. Pour les moulures ornées d'oves, de rais-de-cœur et autres poncifs du répertoire architectural, le motif est obtenu en déplaçant un moule qui fonctionne comme un cachet que l'on imprime dans la pâte fraîche ; on reconstitue sans mal le procédé grâce à la bavure que l'on observe au raccord, qui se fait souvent sur un axe vertical du motif, fer de lance ou nervure de palmette, afin de le fondre autant que possible dans le décor lui-même. Les motifs figurés sont quant à eux obtenus par modelage : sur le fond encore frais, l'artisan étale la pâte malléable et la travaille à la spatule, dont l'extrémité arrondie se lit quelquefois en négatif dans le stuc ; le plus souvent, le motif adhère par simple pression sur le support humide et préalablement strié pour faciliter l'adhérence. Les motifs plus importants peuvent aussi être assujettis par des chevilles. Mais l'époque romaine recherche de préférence les reliefs assez faibles – rarement au-delà d'un centimètre d'épaisseur – avec des contours qui s'estompent insensiblement dans le fond pour se terminer en simples incisés ; ce traitement favorise des jeux d'ombre et de lumière subtils qui animent les voûtes où décors et personnages prennent vie. La nécessité de travailler rapidement avant le séchage, l'impossibilité de retoucher et corriger engendrent souvent un modelé « impressionniste » qui distingue le stuc de la sculpture. Les motifs ornementaux répétitifs – rinceaux, acanthes, fleurons, rosettes au centre des caissons – sont parfois élaborés en cumulant les deux techniques : moulés à part puis fixés encore frais sur le fond et éventuellement retouchés à la main. Mais le stuc peut aussi imiter la ronde-bosse pour devenir un substitut du marbre : ces effets, qui nécessitent de façonner une âme dans un matériau différent, se généralisent à l'époque baroque. Dans certaines cas, on sculpte l'enduit quand il est sec : c'est la technique des « gypseries » provençales (xve-xviie s.).

L'alliance du stuc avec la peinture se fait selon des modalités complexes : simple juxtaposition avec alternance de panneaux polychromes et de panneaux en relief, ou association plus étroite dans l'élaboration de décors mixtes ; c'est habituellement le fond lui-même qui est peint pour mieux mettre en valeur le relief presque toujours laissé blanc à l'époque romaine ; dans les décors somptueux, il peut néanmoins être recouvert à la feuille d'or. Les corniches sont systématiquement rehaussées, comme en architecture, de rouge et de bleu. À partir du Moyen Âge, c'est souvent le relief lui-même, surtout lorsqu'il tend à la ronde-bosse, qui devient le support de la polychromie.

Décors moulés et répétitifs, ou chefs d'œuvre originaux, les stucs antiques sont tous l'œuvre d'artisans inconnus, travaillant dans des ateliers d'enduits au côté d'autres corps du bâtiment, comme sont anonymes les peintres qui ont réalisé les fresques pompéiennes, à la différence des peintres de chevalet dont les textes nous ont gardé les noms. Les empreintes digitales parfois imprimées dans la pâte au cours du modelage restent la seule signature, imprévue et émouvante, des stucateurs. Selon les rares inscriptions funéraires conservées, il s'agit d'esclaves, appartenant au personnel de grandes familles et d'empereurs, ou d'affranchis, dont les stèles modestes attestent qu'ils avaient dû réussir à monter une petite entreprise. L'édit de Dioclétien (301 apr. J.-C.), qui fixe les prix et rémunérations, nous apprend qu'un stucateur est payé deux fois moins qu'un peintre, confirmant ainsi la hiérarchie des arts affirmée par les textes.

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Écrit par

  • : agrégée, docteur, chargée de recherche au C.N.R.S.

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Canope de la villa Hadriana, Tivoli, 1 - crédits :  Bridgeman Images

Canope de la villa Hadriana, Tivoli, 1

<it>Danaé</it>, Rosso Fiorentino - crédits : G. Dagli orti/ De Agostini/ Getty Images

Danaé, Rosso Fiorentino

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