Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ROMAN Le personnage de roman

Un personnage romanesque est souvent héroïque, il n'est jamais un héros. Ce dernier accomplit avec une constance exemplaire un destin décidé par les dieux ou un dessein dicté par le devoir. Œdipe et Antigone, Achille et Ulysse, Lancelot et Siegfried, Hamlet et Macbeth ont en commun l'invariabilité : sauf en de rares moments de faiblesse ils vont dans le sens d'une même éthique supra ou extra-humaine. Le « héros de roman », par contre, obéit à la loi du changement. Il suit un itinéraire jalonné d'obstacles ou de conflits qui le modifient, sinon le transforment. Au terme de leur aventure, Rastignac, Julien Sorel, Raskolnikov, Emma Bovary, Lord Jim ne sont plus les mêmes êtres qu'à son début.

Les aspects de la personne

La variance, les accidents, les détours qui caractérisent l'existence des personnages romanesques ont une cause sociologique profonde. Si vaste et divers soit-il, l'univers du roman compte peu de grands de ce monde. La nécessité de parvenir, au sens le plus général du terme, commande presque toujours les conduites du personnage. Il n'a pas un destin, mais une destinée qui est la résultante de deux forces : celle de son désir, celle des obstacles (mais parfois des appuis) que la société dispose devant lui. Le personnage de roman est un être social. Il a besoin des autres, il doit compter ses alliés ou ses adversaires. De gré ou de force, il vit en son temps, avec son temps. « Le héros de roman n'accuse pas les dieux », soulignait Alain, qui considérait le roman comme le poème du libre arbitre. Le personnage, en effet, se sait ou se sent responsable de ses actes. En cas d'échec, il s'en prendra à lui-même ou à la société.

Les deux forces, l'une intérieure, l'autre extérieure, qui composent la destinée du personnage romanesque – et dont chacune est elle-même la résultante de forces opposées – apparaissent au lecteur comme des événements, c'est-à-dire comme les éléments d'un discours où alternent, par exemple, des descriptions, des dialogues, des apartés. Mais, une fois achevée la lecture du roman, on s'aperçoit que la destinée du personnage dépend, à un premier niveau, de l'idée que celui-ci se fait de lui-même et du monde. Puis l'on constate, à un degré plus profond, que l'existence du personnage dépend de la manière dont le narrateur conçoit l'homme, la réalité sociale, les rapports humains : le personnage (du moins le ou les figures principales du texte) a pour mission primordiale de traduire le sens qu'un écrivain attribue à une réalité historique et sociale, si fictive soit-elle. Un personnage de roman représente une conception de la personne : une certaine idée de l'homme, une certaine vision du monde parlent à travers son masque. Ce masque est complexe, car une figure romanesque est à la fois le personnage ayant un rôle et l'acteur chargé de le jouer : en tant qu'acteur, le personnage de roman est le porte-parole d'un narrateur exprimant par une écriture les multiples aspects de sa conscience.

<it>Don Quichotte et Sancho Pança</it>, A. Decamps - crédits :  Bridgeman Images

Don Quichotte et Sancho Pança, A. Decamps

La personne n'est pas l'individu. L'idée de personne résume les traits essentiels (intellectuels, affectifs, moraux, mais idéaux ou idéalisés) d'un groupe social, et ce résumé, peut-on dire, sera incarné par un personnage. Sancho Pança représente une personne déjà bourgeoise. Don Quichotte une personne encore « chevaleresque », mais Cervantès n'a pas inventé ces deux faces contradictoires de la personne humaine à un moment de l'histoire. De même, Dostoïevski ou Proust, s'ils ont élaboré des personnages, n'ont pas conçu pour autant les idées de l'homme que ces personnages rendent visibles et intelligibles : le romancier commence par recueillir le langage d'une société (sa vision de soi, ses aspirations, ses contradictions) ; il en fait ensuite une synthèse destinée à être filtrée[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Michel ZÉRAFFA. ROMAN - Le personnage de roman [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Don Quichotte et Sancho Pança</it>, A. Decamps - crédits :  Bridgeman Images

Don Quichotte et Sancho Pança, A. Decamps

Dostoïevski - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Dostoïevski

Autres références

  • ROMAN D'AVENTURES

    • Écrit par Sylvain VENAYRE
    • 3 878 mots
    • 9 médias

    À la fin du xviiie siècle, une mutation remarquable vient affecter le genre du récit de voyage : alors que l’âge classique avait privilégié les connaissances rapportées par le voyageur, le nouveau récit s’organisa autour de la personnalité de ce dernier, de ses sentiments, des aventures survenues...

  • ROMAN FAMILIAL

    • Écrit par Catherine CLÉMENT
    • 847 mots

    C'est dans le livre d'Otto Rank, Le Mythe de la naissance du héros (1909), que Freud inséra un petit texte intitulé « Le Roman familial des névrosés ». Le phénomène auquel se rattache ledit « roman » est le processus général de distanciation entre parents et enfants, processus...

  • ROMAN HISTORIQUE

    • Écrit par Claude BURGELIN
    • 1 009 mots

    Le roman a toujours puisé dans l'histoire de quoi nourrir ses fictions et leur donner les prestiges du vraisemblable. Mais, en tant que genre spécifiquement déterminé, le roman historique a pris son essor — comme la plupart des formes romanesques — au xixe siècle, alors que la bourgeoisie...

  • ROMAN POPULAIRE

    • Écrit par Jean TULARD
    • 4 060 mots

    C'est au moment où la narration hésite entre différentes formes d'expression que s'effectue un retour aux sources populaires, à cette littérature qui privilégia l'imagination aux dépens de l'intelligence, le style direct contre le langage obscur, le respect des valeurs établies face à la remise en question...

  • ROMAN SENTIMENTAL

    • Écrit par Isabelle ANTONUTTI
    • 2 475 mots
    • 1 média

    En 2015, tandis que 12 p. 100 des Français se déclarent lecteurs de romans sentimentaux (Les Français et la lecture, mars 2015), Marc Levy est l’auteur français contemporain le plus lu dans le monde (sondage Opinionway, 18 mars 2015). Roman à l’eau de rose, littérature sentimentale, romance : voici...

  • GENRES LITTÉRAIRES, notion de

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 847 mots
    ...quadripartition aristotélicienne (dramatique haut, dramatique bas, narratif haut, narratif bas), il n'était presque rien dit du dernier terme (la parodie). Cette case demeurée vide semble faite pour accueillir le roman, qui n'est autre qu'une représentation d'actions de personnages inférieurs en mode narratif....
  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par Ivan CROUZEL, Dominique DARBON, Benoît DUPIN, Universalis, Philippe GERVAIS-LAMBONY, Philippe-Joseph SALAZAR, Jean SÉVRY, Ernst VAN HEERDEN
    • 29 784 mots
    • 28 médias
    Le roman forme l'essentiel de l'activité littéraire. Le romancier afrikaner choisit, durant cette période, de donner à sa langue une dimension qu'elle ne possède pas encore. Il s'agit de produire, aussi rapidement que possible, l'équivalent d'une quelconque littérature romanesque européenne. Le roman,...
  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    La première moitié du xxe siècle est, en Allemagne comme ailleurs, l'âge des sommes romanesques. Si certains, comme Heinrich Mann (1871-1950), s'en tenaient à l'image satirique et à la caricature, son frère Thomas (1875-1955) érigeait ses architectures savantes, où thèmes et leitmotive s'enchevêtrent...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    La publication, en 1922, de Ulysses changea radicalement la conception du roman. Joyce avait révélé les possibilités illimitées offertes par le jeu avec et sur le langage. Dès les années 1930, cependant, les romanciers anglais réagissaient contre les innovations de leurs grands prédécesseurs, pour en...
  • Afficher les 75 références

Voir aussi