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SMITHSON ROBERT (1938-1973)

« Nonsites » et sites

Bien que l'œuvre de Robert Smithson ait été à de maintes reprises assimilée à l'art minimal – il participe notamment en 1968 à l'emblématique exposition collective au Gemeentemuseum à La Haye –, son propos reste davantage lié aux phénomènes du land art, et ce d'autant plus aisément que cette tendance ne s'est jamais laissée enfermer dans des carcans théoriques aux exigences formalistes rédhibitoires. Les nonsites (« non-sites ») de Smithson, réalisés à partir de 1968, répondent par exemple à la problématique du lieu de l'art soulevé par les artistes apparentés au land art. Constitués par des rochers trouvés lors de ses pèlerinages dans des paysages anthropiques et rassemblés à l'intérieur de bacs géométriques destinés à être exposés, les nonsites, « annexés » par des photographies, des cartes géographiques et autres installations hybrides, investissent un no man's land – ce que l'artiste nomme son « truc va-et-vient » entre espaces d'atelier, plein air et lieux d'exposition. Ces travaux répondent dès lors à une tension dialectique qui met en jeu contenant et contenu de l'œuvre, deuxième et troisième dimensions, nature et culture et, inévitablement, temps et espace.

Parallèlement à ses nonsites, Smithson intervient de plus en plus dans des sites, soumettant ceux-ci à des modifications ou des bouleversements afin de créer les conditions dialectiques d'un équilibre tout aussi précarisé. Qu'elles prennent pour objet l'asphalte déversé dans une carrière à Rome (Asphalt Rundown, 1969), les miroirs déplacés au Yucatan, au Mexique (Mirror Displacements, 1969), ou une baraque en bois partiellement enterrée dans l'Ohio (Partially Buried Woodshed, Kent State University, Ohio, 1970), les interventions de Smithson ne cessent de se dérober et de contourner les impératifs temporels et spatiaux qui définissent la production, l'exposition et la circonscription de l'objet d'art. Quelle place doit-on allouer, à ce titre, aux innombrables diapositives, photographies et films qui hantent les rétrospectives de l'artiste ? Ces éléments constituent-ils des traces fétichistes ou des prolongements de l'œuvre ? Des simples documents ou au contraire des signes suspendus échappant à toutes délimitation et identification ? De la célèbre Spiral Jetty (1970, Great Salt Lake, Utah) considérée comme l'opus magnum de Smithson, il ne nous reste plus, justement, que des indices photographiques et cinématographiques. « Achevée » en avril 1970, la jetée réalisée à base de pierres a fini par être submergée par le lac, répondant ainsi au principe entropique cher à l'artiste.

De 1971 à 1973, Smithson s'évertue principalement, et en vain, à réhabiliter et à « contaminer » de nouveaux sites industriels. À l'été de 1973, il entame une intervention sur le site d'un lac près d'Amarillo, au Texas. Le 20 juillet, il survole son installation en cours et périt dans l'accident de l'avion. Amarillo Ramp sera édifié par Nancy Holt, Tony Shafrazi et Richard Serra, à titre posthume.

— Erik VERHAGEN

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions

Classification

Pour citer cet article

Erik VERHAGEN. SMITHSON ROBERT (1938-1973) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • GÉOLOGIE DE SPIRAL JETTY, DE ROBERT SMITHSON - (repères chronologiques)

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 419 mots

    — 1800000- — 950000 Pléistocène inférieur Formation du Lac Bonneville. Le Grand Lac Salé et le Lac de l'Utah actuels résultent de son assèchement à la fin de la dernière glaciation.

    1824-1825 Première exploration du Grand Lac Salé par Jim Bridger.

    1843 Première étude scientifique...

  • SPIRAL JETTY Rozel Point, Grand Lac Salé, Utah, (R. Smithson)

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 284 mots

    L'artiste américain Robert Smithson (1938-1973) fut d'abord attiré par ce site situé sur la rive nord du Grand Lac Salé (Utah) à cause de la couleur très particulière de l'eau, d'un rose-orangé intense, due à la prolifération d'une algue marine à cet endroit du lac. Le paysage, dominé...

  • CARTOGRAPHIE

    • Écrit par Guy BONNEROT, Estelle DUCOM, Fernand JOLY
    • 8 489 mots
    • 3 médias
    ...notamment dans le transfert de données entre galeries et territoire : recours à la carte pour la mise en œuvre de parcours, jeux de pistes, schémas cartographiques. Le travail de Robert Smithson, par exemple, illustre bien l’importance du recours aux cartes (Imaginary Maps, World Ocean Map…).
  • HOLT NANCY (1938-2014)

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 804 mots

    Indissociable de l’artiste américain Robert Smithson (1938-1973) dont elle fut l’épouse, la collaboratrice et la légataire veillant à la diffusion et à la préservation de son œuvre, Nancy Holt était aussi une artiste dont le travail, qui opère la jonction entre le land art et l’art écologique,...

  • LAND ART

    • Écrit par Gilles A. TIBERGHIEN
    • 3 673 mots
    ...permettent de faire des œuvres de grande taille en travaillant avec des masses considérables. D'autres voient dans la nature le prolongement des galeries –  Robert Smithson avec ses non-sites ou Dennis Oppenheim qui a reporté les limites de certains espaces d'exposition sur des espaces naturels plus ou moins...
  • SCULPTURE CONTEMPORAINE

    • Écrit par Paul-Louis RINUY
    • 8 011 mots
    • 4 médias
    ...de 400 poteaux métalliques géométriquement répartis, d’une hauteur d’environ 8 mètres. La création la plus marquante du land art est la Spiral Jetty de Robert Smithson (1938-1973), spirale longue de 450 mètres et large de 4,5 mètres qui se déploie dans le Grand Lac Salé de l’Utah, et fut réalisée en avril...

Voir aussi