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RELIGION La sécularisation

Les vicissitudes du mot « sécularisation », si fréquemment employé de nos jours en matière de religion, sa circulation entre le français, l'anglais et l'allemand ont réussi à lui donner un sens apparemment récent et emprunté. De plus, ce prétendu néologisme, anglicisme ou germanisme, est affligé d'une polysémie, non pas celle de nombreux mots d'usage qui ont essaimé par voie d'analogie, de métonymie ou de litote, mais celle qui résulte d'oppositions, d'exclusions ou de récupérations doctrinales. Les deux sens français originels sont à l'heure actuelle à peu près oubliés : il s'agissait d'abord du transfert de biens d'Église à un possesseur civil (paix de Westphalie) ; puis les laïcs n'étant pas seuls en cause, mais aussi les « prêtres séculiers », la sécularisation désigna le passage d'un religieux à l'état séculier, sans que pour autant ce religieux abandonnât nécessairement la prêtrise, lorsqu'il était prêtre. À travers ces définitions, on trouve évidemment la référence à la notion ecclésiastique de « siècle », avec ses ambiguïtés. Pendant de nombreuses années, on usa en français, pour désigner diverses modalités du recul religieux, des termes de laïcisation, de déchristianisation, de paganisation et de locutions comme extension de l'incroyance ou de l'irréligion. Ces termes, en particulier celui de déchristianisation dont abusa la sociologie religieuse (G. Le Bras, 1963) apparurent souvent trop étroits, et on fut heureux d'accueillir le mot de sécularisation qui avait pris, surtout outre-Atlantique, un sens englobant, applicable aux divers processus de recul et aux diverses religions. Mais déjà il désignait – et c'est là son sens principal – l'« autonomisation » du domaine « séculier » ou profane et même certaines mutations intérieures aux religions elles-mêmes. Peu après la Seconde Guerre mondiale, les usages théologiques et sociologiques se diversifient. L'éclatement, préfiguré par l'histoire du mot dans son contexte anglo-germanique, se précipite du fait qu'il désigne simultanément un constat, une interprétation et un projet, autour desquels s'affrontèrent les divergences doctrinales. L. Shiner (1967) distingue six sens du mot sécularisation. Mieux vaudra se référer à deux processus, pris tantôt objectivement et tantôt normativement, celui d'une mutation religieuse de la société et celui d'une mutation sociale des religions. Chacun de ces processus, on le verra, est susceptible de plusieurs interprétations, génératrices de sens différents.

Une mutation religieuse de la société

Recul global des religions

C'est une idée de sens commun que celle d'un recul global des religions, l'esprit religieux paraissant peu compatible avec l'esprit d'une civilisation dominée par la technique. Les grandes religions (christianisme, islam, judaïsme, bouddhisme) ne sont sans doute pas les plus immédiatement menacées. Leur accoutumance à la vie urbaine les rend moins vulnérables sans doute que les religions traditionnelles de l'Afrique noire ou de l'Extrême-Orient, sur lesquelles elles l'ont emporté. Qui plus est, il n'est pas insolite de parler de « réveil religieux » aux États-Unis (C. Glock, 1959) ou même dans certains pays européens. La question est alors de savoir ce qui mesure l'extension ou l'intensité de la religion dans un pays. Si le père Vilain, impressionné par le nombre de croyants non pratiquants que recensent les sondages, intitule un livre La Foi sans la messe (1970), Glock montre l'existence de plusieurs « dimensions » de la religiosité, rituelle, « expérientielle », idéologique et « conséquentielle » (pratique), dont l'une peut être développée plus qu'une autre et plus ou moins indépendamment d'elle. Aussi[...]

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François-André ISAMBERT. RELIGION - La sécularisation [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Visite du mausolée de Lénine - crédits : Express/ Archive Photos/ Getty Images

Visite du mausolée de Lénine

Autres références

  • PSYCHOLOGIE DE LA RELIGION

    • Écrit par Vassilis SAROGLOU
    • 4 087 mots

    Pourquoi la religion a-t-elle été présente dans probablement toutes les sociétés humaines et est-elle encore présente chez environ deux tiers de la population mondiale ? Pourquoi, à des degrés variables selon les différentes sociétés, y a-t-il toujours des croyants, des agnostiques et des athées, avec...

  • RELIGION (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 991 mots

    Deux hypothèses sont en concurrence à propos de l’étymologie du mot « religion ». Pour certains, comme Cicéron (106-43 av. J.-C.), il viendrait du latin religere, qui signifie « relire attentivement », « revoir avec soin ». Pour d’autres, le mot trouverait son origine dans un autre verbe latin,...

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Religions

    • Écrit par Marc PIAULT
    • 9 619 mots
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    Considérer les religions négro-africaines comme un ensemble susceptible de définitions appropriées renvoyant à des principes et des règles lui donnant une unité serait accorder une spécificité définitive à leurs manifestations et, au-delà de leur diversité, reconnaître un lien commun entre...

  • ÂME

    • Écrit par Pierre CLAIR, Henri Dominique SAFFREY
    • 6 020 mots

    Dans le monde occidental, la notion d'âme s'est constituée lentement et ne remonte pas à la nuit des temps. On peut suivre les étapes qui jalonnent l'émergence d'un principe spirituel du vivant et qui aboutissent à sa justification philosophique par Platon et Aristote. Souvent...

  • AMÉRIQUE LATINE - Les religions afro-américaines

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    Les Africains conduits en esclavage en Amérique ont amené avec eux leurs croyances et leurs rites. Certes, en beaucoup de pays, au contact de civilisations différentes et de sociétés répressives, ces croyances et ces rites, après un moment de résistance (par exemple, en Argentine jusque vers...

  • ANCÊTRES CULTE DES

    • Écrit par Mircea ELIADE, Universalis
    • 3 198 mots
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    C'est Herbert Spencer (1820-1903) qui, le premier parmi les modernes, a fortement souligné l'importance des ancêtres dans l'histoire des religions. En effet, pour le philosophe anglais, le culte des ancêtres serait à l'origine même de la religion. Le « sauvage » considère comme surnaturel ou divin...
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