RÉFÉRENDUM
La démocratie directe est sans doute un rêve impossible. Néanmoins, des théoriciens ont imaginé des techniques destinées à permettre au peuple de s'exprimer sans intermédiaires. Le référendum et le plébiscite sont parmi les plus utilisées. Mais, tandis que le premier porte sur un texte, le second traduit la confiance accordée à un homme. Originairement, le plébiscite désignait à Rome la décision de la plèbe, décision matérialisée par un vote. Plus tard, le peuple romain, déchiré par des conflits sociaux, épuisé par des luttes politiques, acceptera de confier le pouvoir suprême à des chefs parmi lesquels Pompée et César. Le plébiscite deviendra alors une simple formalité, servant à investir un empereur tout-puissant.
Cette technique connaîtra, par la suite, une abondante postérité. La France impériale, l'Allemagne hitlérienne, l'Espagne franquiste organiseront des consultations de ce type.
Le référendum remonte aux environs du xve siècle, où il fut mis en œuvre dans certains cantons suisses formés de petites confédérations de localités indépendantes. L'Assemblée générale du Valais arrêtait des mesures provisoires rapportées ad referendum ; la décision finale appartenait aux douze « dizaines » de ce canton. Des mécanismes analogues existaient dans les Grisons. En se répandant, le mot « référendum » devint synonyme de consultation populaire. Au cours des siècles, l'emploi de ce terme se généralise et son champ d'application s'étend. La Suisse reste pourtant le pays d'élection du référendum. Mais certains États membres des États-Unis, l'Allemagne de Weimar, la Suède y ont également recours. En France, il fait irruption dans la vie politique sous la Révolution. Robespierre et Condorcet plaident en sa faveur. Napoléon Ier, Napoléon III, Émile Ollivier, le général de Gaulle figurent parmi ses ardents défenseurs. Pourtant, le danger existe de voir le référendum se transformer en plébiscite. Le choix réel peut être supprimé « par le fait qu'un vote négatif signifie le recours à l'abîme, la destruction de ce qui existe, sans remplacement » (M. Duverger). De telles consultations peuvent se révéler nuisibles. Après un net regain d'intérêt, constaté notamment dans certains pays francophones, on observe actuellement une certaine désaffection à leur égard.
Mérites et démérites
Le référendum est susceptible de modalités diverses. Il est dit de ratification lorsqu'on demande aux citoyens de rejeter ou d'approuver des propositions de loi suscitées et élaborées par le législateur (Constitution du canton de Berne du 4 juin 1893, titre II, chap. ier). Il est dit d'arbitrage lorsque le peuple est invité à se prononcer sur un désaccord entre pouvoirs publics (Constitution de Weimar du 2 août 1919, section V, art. 74 ; Constitution espagnole de 1931).
Le législateur peut solliciter des citoyens l'autorisation de proposer une loi. Le référendum de consultation permet aux électeurs de se prononcer sur l'idée qu'il souhaite mettre en œuvre. En Suède, par exemple, une loi organique du 22 juin 1809 dispose que, « dans le cas où l'importance d'une question exige que l'opinion du peuple soit recherchée avant la décision définitive de l'affaire, le roi et le Ryksdag pourront, par une loi faite en commun, décréter un référendum général ».
Il arrive aussi que le peuple dispose d'un pouvoir d'initiative pour se donner des lois dont le législateur ne se préoccupe pas. La Constitution de Berne (titre II, chap. ii) définit le droit d'initiative comme « le droit de 12 000 électeurs de demander l'élaboration, l'abrogation ou la modification d'une loi, ainsi que l'abrogation ou la modification d'un décret d'exécution du Grand Conseil ». Dans certaines hypothèses, ces propositions pourront être soumises à référendum. Un mécanisme d'initiative populaire est prévu à l'échelon fédéral suisse, mais uniquement en matière constitutionnelle.
Quelle que soit la modalité utilisée, ces consultations populaires ne présentent pas que des avantages, surtout si l'on considère leurs risques sérieux de déviation.
Des vertus contestées
Pour les hommes de la Révolution française, le référendum avait le grand mérite de donner la parole au peuple. Le 4 septembre 1789, J.-P. Rabaut Saint-Étienne et J. Pétion proposent de soumettre au corps électoral les lois que le roi aurait refusé de sanctionner. Le 5, P. S. Dupont de Nemours défend cette idée. Le 22 septembre 1792, Danton fait approuver, par la Convention nationale, le principe selon lequel toute constitution doit être acceptée par le peuple. Fidèles à cette idée, les pères de la Constitution montagnarde de 1793 soumettront leur projet aux citoyens non insurgés des villes et des départements. Ce texte prévoyait le référendum d'arbitrage.
Cette disposition restera inappliquée. Après l'ajournement de la Constitution jusqu'à la paix, une autre lui sera substituée : celle de l'an III, qui ignore le référendum, bien qu'elle soit proclamée loi fondamentale de la République en vertu de l'acceptation du peuple. Sous la IIIe République, le juriste R. Carré de Malberg proposera de « substituer au parlementarisme absolu un régime de puissance parlementaire limitée et mitigée ». Le référendum lui semble être un « complément suffisant de l'idée de représentation » ; il lui reconnaît deux mérites essentiels : grâce à lui, « le Parlement n'exerce plus son pouvoir représentatif que sous réserve des droits du peuple » ; il favorise l'équilibre des pouvoirs dans la mesure où législatif et exécutif peuvent, chacun de leur côté, en appeler aux citoyens.
Parfois, l'accent est mis sur la souveraineté retrouvée par l'électeur face aux partis politiques. Il ne sait plus, en présence du texte de loi soumis à son approbation, « s'il est radical ou socialiste, centre droit ou centre gauche, libéral ou jacobin [...]. Il n'emboîte plus le pas derrière ses chefs de file habituels » (P. Duez). D'autres auteurs soulignent les effets moralisateurs de ce mode de consultation. Selon G. Burdeau, ils se font sentir sur les citoyens, les partis et la vie politique dans son ensemble ; comme les autres institutions de la démocratie directe, le référendum tendrait « à hausser les hommes vers ce niveau d'humanité supérieure pour laquelle elle semble faite ».
Pourtant, le référendum n'a pas été épargné par la critique. Il lui a été reproché de déconsidérer le gouvernement représentatif sans le supprimer (A. Esmein), d'aboutir à des résultats conservateurs (M. Duverger), de figer la volonté du groupe (G. Burdeau). Il peut arriver aussi qu'il subisse des dénaturations graves, en particulier de tourner au plébiscite.
Les déviations plébiscitaires
L'histoire contemporaine offre de nombreux exemples de déviations plébiscitaires. Après le 18-Brumaire, le corps électoral français est invité à se prononcer sur le projet constitutionnel du 22 frimaire an VIII et sur le coup d'État. Le succès est total. Le Premier consul comprend le parti qu'il peut tirer de ce type de consultation. Désormais, le peuple ne sera plus appelé à se prononcer sur un projet de constitution mais sur un texte visant à consolider le « pouvoir personnel » d'un Napoléon Bonaparte ou d'un Louis Napoléon. Ces pratiques frapperont le référendum d'un long discrédit.
Les textes eux-mêmes prévoient parfois des techniques plébiscitaires. Ainsi, l'article 74 de la Constitution de Weimar du 11 août 1919 permet au président du Reich, en s'appuyant sur le peuple, de mettre en échec la volonté d'une assemblée. Il est donc possible d'opposer les électeurs à leurs représentants, de façon légale, en soumettant à référendum des lois adoptées par eux.
En raison de ces précédents, la IIIe République manifestera une profonde aversion à l'égard des techniques d'appel au peuple. Plus tard, le général de Gaulle contribuera à faire renaître le référendum de ses cendres, mais ce nouvel engouement sera passager.
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Écrit par
- Edmond JOUVE : professeur à la faculté de droit de l'université de Paris-V-René-Descartes, membre de l'Académie des sciences d'outre-mer
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