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RILKE RAINER MARIA (1875-1926)

Rainer Maria Rilke, H. Westhoff - crédits : Apic/ Getty Images

Rainer Maria Rilke, H. Westhoff

La fortune de Rilke a traversé des phases diverses. Il fut de son vivant adulé à l'égal d'un saint, ou, à tout le moins, salué comme l'annonciateur d'une nouvelle « religiosité ». Puis vint la phase d'ombre ; on se prit de méfiance pour ce poète, sinon de cour, du moins de château ; on se détourna de ces effusions sentimentales. Pendant ce temps cependant, son œuvre se décantait ; des pans entiers s'effondraient. Dans ce qui reste toutefois, on découvre un grand créateur de formes nouvelles, un des plus authentiques poètes du xxe siècle.

De lents débuts

Tout est terne et morne dans la jeunesse de Rilke : une famille de petite extraction, des parents désunis, une mère bigote et frustrée, un séjour mal supporté dans une école de cadets, quelques années dans un institut supérieur de commerce, l'examen de maturité passé à vingt ans, de vagues études de droit à l'université. Rilke gardera le souvenir d'une enfance mal vécue, hantée de terreurs et d'angoisses, et il l'évoquera souvent dans son œuvre. Il accepte, en revanche et même avec un peu de coquetterie, son image de poète autodidacte, formé selon le hasard des lectures et des rencontres. Mais cette jeunesse morose exigeait des compensations dans l'imaginaire. On ne rappellera que pour l'amusement son désir de s'attribuer une ascendance aristocratique : c'est à cette petite vanité sans malice qu'on doit La Vie et la mort du cornette Christophe Rilke, la bluette qui, au grand dam du poète d'ailleurs, allait contribuer à sa renommée naissante. Car c'est la littérature surtout qui lui sert à compenser ses débuts difficiles dans la vie. Il avait une plume agile – et même dangereusement agile ; il aimait peu se contrôler ; il y a dans ses premiers écrits beaucoup de facilité un peu vide. On jugera sans trop de sévérité les vers qu'il compose à l'âge de seize ans sous le titre de Leben und Lieder ou les images de Prague du recueil Offrande aux dieux lares (1896). Mais il reste longtemps, jusque vers 1902, tributaire du même néo-romantisme tendre et un peu mièvre : ce ne sont que vierges et fantômes, que parcs solitaires, anges et fleurs de lis. Les récits de la même époque sont de la même veine ; l'un d'eux met en scène le dernier rejeton d'une race usée, à qui il ne reste plus qu'à attendre la mort. Il règne aussi dans ces poésies et dans ces textes de prose une sorte d'évangélisme tolstoïen : Rilke porte son regard sur les déshérités ; il pratique une religion de la pitié. Il édita même, un moment, une revue au titre étrange de Chicorées sauvages (Wegwarten), dont il y eut trois numéros : elle était destinée à être distribuée gratuitement aux pauvres des hôpitaux. Ce goût et son imitation spontanée des tendances alors en vogue le mènent par moments aux confins du naturalisme.

À vingt et un ans, cependant, Rilke quitta la ville de Prague ; jamais il ne devait y revenir et rarement cet éternel voyageur porta à nouveau ses pas vers l'Empire austro-hongrois ; ce n'est que par simplification ou par paresse qu'on fait de lui un écrivain autrichien. À partir de cette date commence un quart de siècle de vie instable et errante. Sa première halte est Munich, alors capitale littéraire ; Rilke s'y fait assez vite une place dans quelques publications. Mais sa principale découverte à Munich fut celle de Lou Andreas-Salomé : celle qui avait failli, quelque quinze ans plus tôt, arracher Nietzsche à sa solitude devient pour Rilke la maîtresse maternelle – elle était de quatorze ans son aînée –, dont cet adolescent attardé avait besoin. La liaison avec Lou fut d'assez brève durée – aucune liaison de Rilke ne dure très longtemps. Mais une amitié dura jusqu'à la fin, l'amitié la plus solide et la plus précieuse que Rilke ait trouvée. Parmi ses innombrables lettres – on[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Claude DAVID. RILKE RAINER MARIA (1875-1926) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Rainer Maria Rilke, H. Westhoff - crédits : Apic/ Getty Images

Rainer Maria Rilke, H. Westhoff

Autres références

  • LES ÉLÉGIES DE DUINO, Rainer Maria Rilke - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 604 mots
    • 1 média

    C'est au château de Duino, sur les bords de l'Adriatique, où il avait été invité par la princesse de La Tour et Taxis et trouvé un havre provisoire de paix, qu'en janvier-février 1912 Rilke compose les deux premières des dix Élégies (Duineser Elegien) et écrit quelques ébauches...

  • LES CAHIERS DE MALTE LAURIDS BRIGGE, Rainer Maria Rilke - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre DESHUSSES
    • 1 154 mots

    Bien que souvent classé dans cette catégorie dans les anthologies, il convient de dire d’emblée que, même dans l’acception la plus large du terme, l’ouvrage Les Cahiers de Malte Laurids Brigge n’est pas un roman. R. M. Rilke le qualifiait de « Prosabuch », un livre en prose, qui appelle,...

  • LETTRES À UNE JEUNE POÉTESSE (R. M. Rilke) - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre DESHUSSES
    • 1 260 mots

    Après Les Cahiers de Malte LauridsBrigge, parus en 1910, Rilke n’a pratiquement plus écrit que de la poésie. Ne relève alors de la prose, très abondante dans sa jeunesse sous forme d’histoires, de contes et d’essais, que sa correspondance qui ne peut pourtant pas être considérée comme une production...

  • ANDREAS-SALOMÉ LOU (1861-1937)

    • Écrit par Jacques NOBÉCOURT
    • 856 mots

    Elle n'a voulu après elle ni tombeau ni publications posthumes. Aucune trace, pas même son nom sur une dalle, pas même les dates entre lesquelles s'encadre sa vie. Rien que les derniers échos des injures, des railleries, ou des admirations fanatiques qui accompagnèrent sa vie. On les perçoit encore,...

  • CULTURE - Nature et culture

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD
    • 7 892 mots
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    On ne s'étonnera pas de trouver chez un poète la même idée selon laquelle la culture prolonge la nature, mais avec un renversement de perspective. Fidèle à la tradition orphique, Rilke estime que les choses naturelles se meuvent par le chant de l'homme. L'homme est là pour continuer, achever,...
  • LES COULEURS ET LES MOTS (J. Le Rider) - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 1 058 mots

    Les ouvrages les plus stimulants sont souvent le fait d'un spécialiste qui a su sortir de sa discipline pour rencontrer un autre domaine, sans pour autant renier son savoir d'origine. Jacques Le Rider, précoce et brillant germaniste, auteur de livres de référence consacrés à Otto Weininger,...

  • LYRISME, notion de

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 522 mots
    • 3 médias
    ...européennes. On n'est donc pas étonné de la fascination nouvelle pour la figure orphique, jusqu'à L'Enchanteur pourrissant de Guillaume Apollinaire (1909), promoteur de l'orphisme en peinture, aux Sonnets à Orphée de Rainer Maria Rilke (1922) ou au Testament d'Orphée de Jean Cocteau (1960).
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Voir aussi