Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PRISON

Prison, société du risque et droits de l'homme

Si le survol de deux siècles d'histoire pénitentiaire marque indubitablement l'institution carcérale du sceau de l'inertie, l'examen plus minutieux de l'histoire récente de la prison laisse néanmoins apercevoir deux évolutions à la fois prégnantes et contradictoires. La première se caractérise par le déclin progressif de l'idéal de réhabilitation du système pénal : si la prison a toujours constitué un lieu de sûreté avant d'être un dispositif de redressement, cette fonction neutralisatrice est désormais assumée par les gouvernements chargés de mettre en œuvre les politiques pénales. Plusieurs tendances sont symptomatiques de ce mouvement d'ensemble : une inflation carcérale forte, qui a vu, depuis le milieu des années 1970, le nombre de détenus plus que doubler ; le retour en force des théories de la dissuasion pénale comme modalité de contention de la petite délinquance ; l'essor parallèle d'une pénalité victimaire qui entend moins condamner le criminel pour son acte qu'il ne cherche à compenser la souffrance des victimes ; la mise en place d'une gestion pénale et pénitentiaire des « risques » et de la dangerosité, qui bascule dans la recherche du risque zéro pour les infractions les plus graves. La seconde évolution se caractérise par l'introduction, au sein de l'univers carcéral, de la problématique des droits de l'homme. Les femmes et les hommes détenus ne devraient être privés que de la liberté d'aller et de venir, rien d'autre : tel est l'horizon égalitariste et humaniste qui désormais motive toute une série de réformes pénitentiaires. Fruit de la critique du système pénal et carcéral telle qu'elle s'est formulée à partir des années 1970, cet horizon entre en contradiction avec la première tendance évoquée, esquissant là l'ambiguïté contemporaine de l'univers carcéral.

Société du risque et nouvelle punitivité

L'existence d'une étroite corrélation entre la quantité et la nature des peines prononcées et la situation socioéconomique et politique d'un pays a été démontrée il y a longtemps déjà, en particulier par Georg Rusche et Otto Kirchheimer dès 1939. Les nombreuses études qui corroborent aujourd'hui encore cette thèse avancent des interprétations diverses, mais qui vont toutes dans le même sens : la population pénitentiaire s'accroît en période de détérioration du marché de l'emploi. Or, précisément, l'année 1975 marque l'apogée de la société salariale. Ce n'est pas que nous soyons ensuite sortis de la société salariale, mais, comme l'écrit Robert Castel, la trajectoire selon laquelle « la question sociale paraissait se dissoudre dans la croyance au progrès indéfini [s'est] brisée » à cette époque. Les transformations structurelles du marché du travail et, plus généralement, l'avènement d'une autre modernité, la « société du risque » pour reprendre l'expression d'Ulrich Beck, ont contribué de façon significative au développement d'une insécurité existentielle généralisée. Conjointement, les « problèmes de sécurité » se dissocient de l'ensemble des autres risques sociaux, et le souci de sécurité devient une fin en soi. On assiste alors, selon des observateurs comme Zygmunt Bauman, à un véritable « transfert d'angoisse », et la préoccupation sécuritaire, pour laquelle le recours à l'emprisonnement reste central, vient éclipser les mutations contemporaines de nos sociétés et, tout particulièrement, le sentiment d'insécurité sociale et existentielle qu'elles génèrent. Tout se passe comme si un glissement s'était opéré de l'insécurité sociale – liée aux mutations profondes de l'emploi – vers la punitivité.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Gilles CHANTRAINE. PRISON [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PSYCHOLOGIE EN MILIEU CARCÉRAL

    • Écrit par Nathalie PRZYGODZKI-LIONET
    • 1 645 mots

    Le rôle de la justice ne s’arrête pas à la fin du procès  : une fois le jugement prononcé, elle doit veiller à son exécution, tant pour la victime que pour l’auteur de l’infraction. Si celui-ci est condamné à une peine de prison ferme, il sera écroué dans un établissement pénitentiaire....

  • CHINE - Droit

    • Écrit par Jean-Pierre CABESTAN
    • 10 329 mots
    • 1 média
    Le système carcéral chinois demeure très opaque. Depuis 1994, la loi sur les prisons définit deux types d'établissement : les prisons pour les personnes condamnées de 6 mois à 20 ans et les maisons d'éducation pour les prisonniers mineurs (moins de 18 ans). En réalité, les premières regroupent les...
  • CINQUIÈME RÉPUBLIQUE - Les années Hollande (2012-2017)

    • Écrit par Pierre BRÉCHON
    • 7 029 mots
    • 3 médias
    ...un contrôle renforcé du condamné et son accompagnement dans la réinsertion. Contrairement aux craintes de la droite, ces mesures sont loin de vider les prisons, qui voient leur population croître de 3 000 personnes. Les sanctions alternatives peinent à se mettre en place. Face à la surpopulation carcérale...
  • DAVIS ANGELA (1944- )

    • Écrit par Paul LEPIC
    • 1 538 mots
    • 1 média
    ...période la poussent à s’acheter des armes, ce qui ne sera pas sans conséquence. En effet, au même moment, Angela Davis se passionne pour le sort de trois détenus de la prison de Soledad, proches du Black Panther Party et surnommés les Soledad Brothers. En janvier 1970, au cours d’une rixe entre prisonniers,...
  • FEDERN ERNST (1914-2007)

    • Écrit par Michelle MOREAU-RICAUD
    • 511 mots

    Né à Vienne dans une famille de la bourgeoisie juive assimilée, Ernst Federn était le fils du neurologue devenu psychanalyste Paul Federn (1871-1950), lui-même fils de médecin et neveu d'un célèbre rabbin de Prague. L'un des proches et des plus anciens disciples de Freud, Paul Federn devint son représentant...

  • Afficher les 12 références

Voir aussi