PLASTICITÉ CÉRÉBRALE

Des preuves à l’appui de la plasticité cérébrale

Il faudra bien cependant concéder au minimum des îlots de plasticité dans un cerveau rigide... Car, à côté de l'étroite spécialisation nerveuse, certaines preuves indiscutables de cette plasticité vont être produites à partir des années 1960.

Modifications des connexions entre neurones après neurochirurgie

Pourles neuro-embryologistes, l'approche de la plasticité consistait à tester la capacité de restauration ou de réorganisation du système nerveux, à la suite de modifications de connexions entre neurones provoquées chez l'animal adulte ou au cours du développement. L'Américain Roger W. Sperry (1913-1994) montre ainsi que lorsque, chez la grenouille adulte, un œil est retourné de 180 degrés dans son orbite, les fibres provenant de la rétine se reconnectent à leur place initiale sur le tectum, principal centre optique de l'animal. Il en résulte d'abord une inversion du champ visuel. Cette inversion résulte du maintien des connexions rétinotectales qui inverse la carte rétinotopique sur le tectum. Mais le rétablissement ultérieur de la vision binoculaire révèle une modification des connexions intertectales (entre les tectums, situés des deux côtés du cerveau). Par ailleurs, le schéma des connexions rétino-tectales change plusieurs mois après l'ablation neurochirurgicale d'une partie de la rétine ou du tectum avec la restauration de la topographie des projections sur les surfaces restantes. De telles données expérimentales démontrent bien la plasticité de certains étages du système visuel.

Effets plastiques des privations sensorielles au cours du développement

La plasticité du système visuel chez les vertébrés supérieurs, chez lesquels les expériences neurochirurgicales étaient impossibles, est explorée par David Hubel et Torsten Wiesel dès le début des années 1960. Il s'agit de modifier l'expérience sensorielle de l'animal au cours de son développement et d'en étudier les conséquences sur l'organisation fonctionnelle du cortex. Il existe des périodes critiques du développement pendant lesquelles l’absence d’expérience ou d’exposition à une stimulation entraîne des conséquences irréversibles dans le circuit cérébral. Ainsi, le système visuel du chat ne se développe pas et même s'atrophie si l'animal n'est pas exposé aux stimuli lumineux après la naissance. Cependant, cela n'implique pas la plasticité des systèmes sensoriels chez le chat adulte.

Modifications des cartes sensorielles chez l'animal adulte

Dès les années 1970, on avait montré chez l'animal adulte que les protocoles de conditionnement pouvaient modifier de manière sélective la réponse sensorielle d'un neurone isolé. Le neurophysiologiste français Jean-Marc Edeline, travaillant sur la plasticité dans le système auditif, a démontré par la suite que la fréquence de décharge caractéristique d'un neurone, celle où la réponse est la plus forte, peut être modifiée par l'apprentissage. Le conditionnement sonore produit une modification de la fréquence préférentielle de certains neurones du cortex et du thalamus auditifs. Le champ récepteur des neurones – gamme des fréquences tonales qui provoquent leur réponse – est alors sélectivement modifié.

Toutefois, il fallait démontrer que les cartes sensorielles corticales elles-mêmes étaient susceptibles de se modifier chez l'adulte. Dans les années 1990, de très nombreux laboratoires ont mis en évidence de telles modifications, et cela pour toutes les modalités sensorielles. Les conditions opératoires peuvent être des lésions ponctuelles de l'épithélium sensoriel (désafférentation), des manipulations électrophysiologiques du niveau de dépolarisation d'un neurone lors de la présentation d'un stimulus,[...]

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Écrit par

  • Jean-Claude DUPONT : professeur des Universités (histoire et philosophie des sciences) à l'université de Picardie Jules Verne, Amiens

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Pour citer cet article

Jean-Claude DUPONT, « PLASTICITÉ CÉRÉBRALE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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