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PHILOSOPHIE ANALYTIQUE

Critères d'identification

Énumérer quelques mots clés, nommer une méthode, indiquer un domaine, déceler des influences et des origines, ce n'est pas définir cette philosophie analytique. Il est significatif qu'aucun exposé critique, aucune histoire philosophique n'ont été jusqu'ici tentés ; les présentations générales faites par les analystes préfèrent dégager les traits (features) qui décrivent un mouvement plutôt que les caractères qui définissent une école. Certains situent le terme de la philosophie analytique à la crise de l'école de Cambridge en Angleterre, à sa collusion avec le marxisme en Pologne ; d'autres présentent ce que l'on peut appeler l'école d'Oxford comme son héritière. Pour M. Urmson, tous les analystes font cortège à Austin. Pour Russell, il n'y a rien à trouver d'intelligible dans la pratique récente, purement linguistique, dont les doctrines positives sont triviales et les négatives infondées. On évitera donc de conduire l'analyse du mouvement en fonction de l'une ou l'autre de ces lectures. On utilisera la terminologie reçue par la majorité des analystes, en indiquant les articles où l'on trouve l'exposé complet de ce qui est ici traité par allusion, en signalant les analyses qui ont plus ou moins valeur de paradigme.

Ryle - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Ryle

À défaut de le définir, on peut s'entendre sur trois critères permettant d'identifier ce mouvement. En premier lieu, il se caractérise par une attitude minimaliste à l'égard des problèmes philosophiques. Ses énoncés précis, sur le mode formel, recouvrent rarement les formulations traditionnelles ; ils donnent lieu à des discussions détaillées et limitées de style presque scolastique. Il ne présente pas une doctrine exprimée en un long ouvrage théorique susceptible d'intéresser un grand public, mais de courts essais, ou bien se contente de colloques privés entre collègues. On n'y construit pas de vastes synthèses en utilisant les pouvoirs de l'analogie aux dépens de la simple logique. On propose de réfléchir sur « quelques questions à propos de connaître et penser » ou sur « deux des sens de probable ». On peut voir dans la reconnaissance du rôle actif du langage en philosophie le deuxième critère d'identification de ce mouvement. Ce seul caractère sert parfois à définir la philosophie analytique comme « philosophie linguistique » ou « analyse linguistique ». On a même pu proposer de classer les analystes, par leur relation au langage, en sectateurs et critiques du langage naturel ou des langages construits, en formalistes et linguistes, chaque groupe ayant ses extrémistes et ses modérés. Parmi les formalistes, les constructionnistes (Lesnievski, Lukasiewicz, Carnap) considèrent que seuls les langages construits offrent une formulation univoque de leurs idées, les réformistes (Russel, Kotarbinski, Ajdukiewicz) entendent restructurer le langage conformément à la forme de toute connaissance, disons à la logique des Principiamathematica. Parmi les linguistes, les uns acceptent de rectifier l'usage ordinaire ( Ryle, Strawson, Hampshire), les autres trouvent dans l'analyse descriptive minutieuse des finesses conceptuelles de la langue commune au moins un préalable de tout examen philosophique (Austin). Cette préoccupation « logique » (ou linguistique), au sens large, distingue la philosophie analytique d'autres philosophies de type cartésien ou transcendantal qui recommandent l'analyse comme recherche de l'intelligible ou du fondement en philosophie ; en même temps, elle l'oppose aux philosophies de la totalité ou de l'absolu : la synthèse hégélienne, la synopsis platonicienne. Quand paraît, en 1903, l'essai de Moore The Refutation of Idealism, qui annonce une révolte privée contre l'hégélianisme de Bradley ou de McTaggart,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Rennes
  • : docteur en philosophie de l'université Paris-I, chargé de cours à l'université de Paris-I, ancien assistant au Collège de France

Classification

Pour citer cet article

Francis JACQUES et Denis ZASLAWSKY. PHILOSOPHIE ANALYTIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Bertrand Russell - crédits : Kurt Hutton/ Picture Post/ Getty Images

Bertrand Russell

Ryle - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Ryle

Wittgenstein - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Wittgenstein

Autres références

  • AJDUKIEWICZ KAZIMIERZ (1890-1963)

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD
    • 725 mots

    Philosophe et logicien polonais, né en Galicie, mort à Varsovie. Ajdukiewicz étudie à l'université de Lwów avec Twardowski et Łukasiewicz. Ses thèses de doctorat ont pour titres L'Apriorité de l'espace chez Kant et Méthodologie des sciences déductives. Il étudie aussi...

  • ANALYTIQUE PROPOSITION

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD
    • 459 mots

    Le mot « analytique » a au moins trois sens.

    1. Au sens large, une proposition est dite analytique si elle est vraie en vertu de la signification des termes qu'elle contient. La simple considération des significations suffit à donner l'assurance de sa vérité. À ce sens se rattachent le...

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...linguistique et historique, à l'architecture générale de la doctrine, à la forme des questions et aux présuppositions et attentes qu'elles impliquent. Le courant analytique, représenté aujourd'hui par la majorité des auteurs de langue anglaise (J. L. Ackrill, J. Barnes, etc.), fait abstraction de toute...
  • ATOMISME

    • Écrit par Jean GREISCH
    • 1 366 mots
    • 4 médias
    ...la chasse gardée des « sciences dures ». Dans le champ philosophique, l'atomisme va connaître un nouveau printemps grâce à certains représentants de la philosophie analytique. C'est le courant de l'atomisme logique, illustré par Bertrand Russell (1872-1970) et le « premier » Wittgenstein (1889-1951)....
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Voir aussi