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PÉTRARQUE (1304-1374)

La période italienne

La mort de ses amis les plus chers (« nous étions une foule, nous voici presque seuls », Familiares, VIII, vii), l'hostilité du pape Innocent VI qui avait succédé en décembre 1352 au bienveillant Clément VI, les conflits de plus en plus âpres qui l'opposent à la curie d'Avignon à cause de Cola, de Rome et de sa polémique contre les médecins décident Pétrarque à quitter à jamais la Provence pour rentrer dans sa patrie ; en mai, du haut du Mont-Genèvre, il salue l'Italie avec une éloquence émue : « Salut terre très sainte, terre chérie de Dieu, terre douce aux bons, aux superbes redoutable ! » (Epistolae metricae, III, xxiv.)

Grâce à l'intervention de l'archevêque Giovanni Visconti, il s'installe à Milan, où, à part quelques rares parenthèses, il reste huit ans (1353-1361), bien que ses amis, surtout florentins, ne lui ménagent pas les reproches pour être devenu, lui naguère le défenseur de la liberté et de la solitude, le thuriféraire des tyrans ennemis de sa patrie, installé dans une ville bruyante, collaborateur actif d'une ambitieuse politique de conquête. Pourtant cette époque milanaise est une des plus heureuses et des plus fécondes de sa vie. Il termine la première véritable édition de ses Rime, se consacre aux Familiares, achève de composer le De remediis utriusque fortunae (1354-1360), travaille aux Triomphes (Trionfi, 1351-1374), compose l'Invectiva (1355) contre le cardinal Jean de Caraman et l'Itinerarium syriacum, revoit et ordonne ses écrits précédents. C'est au cours de cette période d'intense activité littéraire qu'il accueille dans sa maison Boccace et, comme pour symboliser leur parfaite entente spirituelle, il plante dans son jardin des lauriers fatidiques. Cette entente se maintiendra et se renouvellera jusqu'à sa mort par un constant échange de correspondance, de nouvelles, de livres, d'amis et surtout par d'autres rencontres toujours stimulantes et riches. Cette amitié exaltante, la plus féconde des lettres italiennes, prend la forme d'une action commune pour le renouvellement, à la fois chrétien et classique, de la culture italienne, voire européenne. En 1361, fuyant la peste qui ravageait la plaine du Pô, il se réfugie à Venise, « ville auguste, seul réceptacle à notre époque de liberté, de paix et de justice, dernier refuge des bons, port unique où peuvent trouver abri les vaisseaux de ceux qui aspirent à la tranquillité » (Seniles, IV, iii). La Signoria fait don d'une maison sur la Riva degli Schiavoni à l'homme « dont la renommée est telle dans le monde entier qu'aussi loin qu'on remonte dans le temps il n'y eut jamais, parmi les chrétiens, poète qui puisse lui être comparé », et Pétrarque promet de léguer à sa mort tous ses livres à la République de Venise. Sa fille Francesca, son mari et leur petite fille Eletta viennent le rejoindre et leur bonheur réjouit ce père affectueux (en 1361, son fils Giovanni, « natus ad laborem ac dolorem meum », était mort de la peste). Il prend une part active à la vie et à la politique de la cité, ce qui ne l'empêche pas de poursuivre son œuvre littéraire dans la sérénité.

Mais l'affront qu'il subit (sans que la ville de Venise s'en émeuve) de la part de quatre jeunes disciples d'Averroès qui, tout en reconnaissant qu'il est « bon homme, voire excellent », le taxent d'« illettré, tout à fait ignare » parce qu'il croit plus au Christ et à l'Église qu'aux doctrines attribuées à Aristote, le détermine, après avoir répondu à ses détracteurs par le De sui ipsius et multorum ignorantia (1371), à changer une fois de plus de résidence et à se fixer à Padoue où il demeure jusqu'à sa mort, faisant la navette entre son domicile padouan et la maison qu'il avait acquise à Arquà,[...]

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Écrit par

  • : secrétaire général de la Fondazione Giorgio Cini, Venise, professeur à l'université de Padoue
  • : professeur émérite à la faculté des lettres de Rouen

Classification

Pour citer cet article

Vittore BRANCA et Françoise JOUKOVSKY. PÉTRARQUE (1304-1374) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Pétrarque - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Pétrarque

Autres références

  • CANZONIERE, Pétrarque - Fiche de lecture

    • Écrit par Claudette PERRUS
    • 898 mots
    • 1 média

    Un des manuscrits qui contient le Canzoniere de Pétrarque (1304-1374) porte le titre en latin de Rerum vulgarium fragmenta (« fragments en langue vulgaire »). Non que ces 366 sonnets, chansons, sextines et ballades présentent le moindre signe d'inachèvement : Pétrarque désignait par...

  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par Milovan STANIC, François TRÉMOLIÈRES
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...employé de manière dépréciative, pour qualifier l'éphémère et partant le superficiel, la valeur étant dans ce cas associée à la durée, voire à l'éternité. C'est ainsi que Pétrarque (1304-1374), par exemple, appelait Modernes les doctes de son époque, trop imprégnés du latin de la scolastique et...
  • APELLE (IVe s. av. J.-C.)

    • Écrit par Adrien GOETZ
    • 2 450 mots
    • 1 média
    ...ôter la main d'un tableau ». La Bibliothèque nationale à Paris possède une copie manuscrite de ce passage de Pline portant, en marge, les postillae que Pétrarque mettait aux livres de sa bibliothèque. Face à cette phrase, que l'on trouve aussi dans les Lettres de Cicéron et chez Pétrone, il indique...
  • GIOTTO (1266 env.-1337)

    • Écrit par Daniel RUSSO
    • 3 177 mots
    • 6 médias
    ...obligatoirement. À la lecture attentive des documents, nous comprenons que ce genre de réaction n'est pas isolé. Déjà, en 1353, Boccace condamne l'attitude de Pétrarque qui refuse l'invitation officielle de la commune de Florence et accepte de se rendre à la cour des Visconti, à Milan. Un événement considérable...
  • RENAISSANCE

    • Écrit par Eugenio BATTISTI, Jacques CHOMARAT, Jean-Claude MARGOLIN, Jean MEYER
    • 31 095 mots
    • 21 médias
    ...l'Église mais aussi Virgile, Ovide, Cicéron, et on s'inspire d'eux. Pourquoi donc qualifier de néo-latine la littérature qui naît avec Pétrarque, s'épanouit en Italie au xve siècle, brille au xvie siècle dans toute la chrétienté, donne encore de beaux fruits au xviie siècle,...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi