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ALMODÓVAR PEDRO (1949- )

La Movida madrilène

Dans le Madrid du renouveau de la fin des années 1970, le jeune metteur en scène multiplie les activités : il écrit des scénarios de bandes dessinées et de romans-photos, des textes d'humeur et des nouvelles pour de nombreux magazines, et entre dans la troupe de théâtre Los Goliardos où il rencontre Carmen Maura. Leur fructueux échange, interrompu après Femmes au bord de la crise de nerfs mais superbement retrouvé dans Volver (2006), marque le passage à un premier long-métrage de cinéma, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (1980).

Un projet de roman-photo punk, sale et drôle, est à l'origine de cette comédie corrosive comme le suggèrent l'emploi de cartons rythmant les différents épisodes du scénario ainsi que la crudité du langage et des situations qu'on ne retrouvera à l'avenir que sous une forme atténuée. Ce qui pourrait n'être que provocation gratuite répond ici, plus profondément, à un désir d'ouvrir le cinéma aux libertés nouvelles de la société espagnole, le film répertoriant de manière exhaustive les interdits levés après la mort de Franco en 1975 : usage de drogue, adultère, « perversions » sexuelles, et toute conduite susceptible d'ébranler l'institution du mariage et de la famille. Si Almodóvar a toujours refusé d'assujettir son inspiration à un message politique, déclarant que la meilleure façon de prendre une revanche sur l'époque franquiste était pour lui d'en nier jusqu'à l'existence, Pepi, Luci, Bom... n'en est pas moins le reflet direct de changements idéologiques et trouve son principal intérêt dans cette restitution d'une réalité en pleine effervescence, représentative du renouveau artistique madrilène baptisé Movida.

Admirateur fervent du Free Cinema anglais des années 1950 (qui prônait l'impétuosité dans la description du quotidien) et de la culture pop américaine des années 1960, Almodóvar fait exprimer par ses trois héroïnes un rêve d'Andy Warhol – tourner un film inspiré de leur vie, où elles joueraient leur propre rôle – qu'il concrétisera lui-même avec son deuxième long-métrage, Le Labyrinthe des passions (1982), au caractère documentaire encore plus affirmé. On y voit le cinéaste diriger les prises de vues d'un roman-photo et chanter sur scène – vêtu d'une courte veste de cuir, de bas résille et de chaussures à semelles compensées –, au côté de Fanny McNamara, acteur avec lequel il enregistra à cette époque plusieurs disques. Images emblématiques de l'aventure joyeuse, débridée et dédiée à la création sous toutes ses formes que fut la Movida, dont les figures les plus marquantes participèrent au film, notamment le peintre et graphiste Pérez Villalta et la photographe et peintre Ouka Lele. Mais c'est un regard empreint d'ironie que Pedro Almodóvar porte sur ce mouvement jeune et insolent qui, récupéré par les médias, a déjà perdu un peu de sa spontanéité et de son innocence. L'ensemble du Labyrinthe des passions est d'ailleurs placé sous le signe de la parodie, qu'elle vise les héros de la presse populaire, les drames hollywoodiens nourris de psychanalyse ou le style léger et trépidant des comédies de Richard Lester.

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Écrit par

  • : journaliste
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Frédéric STRAUSS. ALMODÓVAR PEDRO (1949- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Douleur et Gloire</em>, P. Almodóvar - crédits : Manolo Pavon/ El Deseo/ BBQ_DFY/ Aurimages

Douleur et Gloire, P. Almodóvar

<em>Julieta</em>, P. Almodóvar - crédits : Canal+/Cine+/El Deseo/ Photoshot/ Aurimages

Julieta, P. Almodóvar

Autres références

  • DOULEUR ET GLOIRE (P. Almodóvar)

    • Écrit par René MARX
    • 987 mots
    • 1 média

    L’affiche de Huit et demi de Federico Fellini orne un mur du bureau de Mercedes, celle qui est à la fois l’agente, l’amie et la protectrice de Salvador, le cinéaste protagoniste de Douleur et Gloire. Comme le Guido de Fellini, Salvador est un cinéaste en panne. En panne d’inspiration, d’élan...

  • JULIETA (P. Almodóvar)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 032 mots
    • 1 média

    Dans l’histoire du cinéma, il existe peu de parcours que l’on puisse comparer à celui de Pedro Almodóvar. En effet, soit les cinéastes liés à un mouvement d’idées ou de mode sombrent dans l’oubli, soit ils se figent en représentants d’une époque donnée. Lié au mouvement de la Movida au point...

  • PARLE AVEC ELLE (P. Almodóvar)

    • Écrit par Frédéric STRAUSS
    • 989 mots

    Le rideau se baissait à la dernière image de Tout sur ma mère (1999). Le rideau se lève à la première de Parle avec elle. D'un film à l'autre, Pedro Almodóvar suit sa ligne, limpide et intrigante comme les lignes de la main, faites de chair et de sang. Dans Tout sur ma mère, la ligne...

  • TALONS AIGUILLES, film de Pedro Almodóvar

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 877 mots

    Pedro Almodóvar commença par refléter le désir de changement de l'Espagne franquiste, avec une série de dix courts-métrages dont le premier avait pour titre, en 1974, Film político. Mais le décès du caudillo, l'année suivante, allait précipiter les choses, et la Movida, le renouveau...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    Pedro Almodóvar, né en 1949, est l'auteur phare du cinéma espagnol, affirmation que nul ne songerait à contester aujourd'hui, mais qui ne manque pas d'ironie rétrospective quand on songe aux débuts de l'auteur-acteur-chanteur au temps de la movida madrilène. Jusqu'à ...
  • CORRIDA

    • Écrit par Barnaby CONRAD
    • 10 675 mots
    • 7 médias
    ...Boetticher, suscita un véritable engouement pour cet art aux États-Unis. Torero amateur, Boetticher produisit plusieurs autres films sur ce thème. Le réalisateur Pedro Almodóvar tourna lui aussi des films évoquant la tauromachie, dont Matador (1986), largement critiqué en Espagne pour sa représentation...
  • CRUZ PENÉLOPE (1974- )

    • Écrit par Universalis
    • 503 mots

    Née le 28 avril 1974 à Madrid, Penélope Cruz Sánchez grandit en dehors de la capitale. Apprenant le ballet pendant neuf ans au Conservatoire national espagnol, la jeune fille suit également une formation intensive en danse classique et en modern jazz avant d'aller étudier l'art dramatique à New York....

  • ESPAGNOL CINÉMA

    • Écrit par Jean-Louis COMOLLI
    • 1 301 mots

    On peut faire remonter à 1896 les premières manifestations cinématographiques en Espagne. Le 15 mai, un représentant des frères Lumière organise la première projection à Madrid et, à la fin de l'année, un Espagnol filme La Sortie de la messe de midi à l'église du Pilar de Saragosse...

Voir aussi