CORRIDA

La corrida, ou tauromachie, en espagnol fiesta brava (« fête du courage ») ou corrida de toros (« course de taureaux »), est à la fois une course et un combat durant lequel un matador affronte, selon des règles extrêmement précises, un taureau dans une arène avant de le mettre à mort. Cette institution nationale en Espagne et dans de nombreux pays hispanophones est également populaire au Portugal et dans le sud de la France, bien qu'au Portugal, où le torero lutte à cheval, il soit interdit de tuer le taureau dans l'arène. Il existe aussi des corridas sans effusion de sang, qui se contentent de feindre la mise à mort : la bête, recouverte d'une cape, ne reçoit aucune blessure. Ce type de spectacle, populaire dans certains pays, notamment dans plusieurs États des États-Unis, est souvent dénigré par les puristes.

La corrida fait couler beaucoup d'encre et est depuis longtemps sujette à controverse. Pour les anthropologues et les psychologues, cet art a fait l'objet de multiples interprétations, allant du combat entre la nature et la culture à la représentation symbolique du rapport entre le féminin et le masculin. Par le passé, le clergé critiquait la tauromachie car elle dégradait l'éthique du travail et éloignait le public de l'église et de la prière. Des papes de la Renaissance en passant par les premiers rois Bourbon, d'Espagne jusqu'aux défenseurs actuels de la cause animale, nombreux sont ceux qui ont considéré la corrida comme un spectacle barbare ou une perversion. Certains ont attribué la responsabilité de ce spectacle à une élite décadente, qui a longtemps organisé des combats de taureaux pour célébrer des noces royales ou fêter l'obtention d'un doctorat, les jeunes docteurs peignant les murs de leur université avec le sang d'un taureau, tradition qui perdure encore aujourd'hui par l'application de peinture rouge. Pour d'autres encore, ce spectacle tire ses origines d'une culture populaire de masse qui apprécie seulement « le pain et les jeux ». Aux yeux de nombreux intellectuels espagnols – en particulier pour la génération de 1898, qui essayait de comprendre les répercussions de la disparition de l'Empire espagnol, et pour un grand nombre d'intellectuels après la mort de Franco en 1975 –, la corrida a été une fenêtre ouverte sur l'âme de l'Espagne et de ses habitants, un rappel constant du prétendu « problème » espagnol : son rejet supposé des Lumières et du monde moderne, son refus de s'européaniser, qui a nui à l'image de l'Espagne sur la scène internationale et à sa position au sein des nations dites civilisées.

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Les amateurs de corridas, les aficionados, issus de toutes les classes sociales, sont aussi fervents que ses détracteurs. Beaucoup soulignent qu'elle fait l'objet d'une véritable industrie qui emploie des milliers de personnes dans le monde et qu'elle représente une source importante de revenus pour de multiples fondations privées et services sociaux, à l'instar des jeux d'argent et des loteries dans de nombreux pays où la corrida n'existe pas. Pour d'autres encore, la corrida n'est qu'une forme contemporaine de divertissement de masse parmi tant d'autres, moins violente que la boxe professionnelle ou le football américain, et moins cruelle que la manière dont on abat les animaux destinés à la boucherie. De nombreux toreros adoptent un point de vue plus philosophique, et voient dans la corrida une sorte de pièce morale, une représentation originale du monde dans son ensemble.

La corrida classique est souvent qualifiée de sport, mais n'est pas considérée comme telle ni par ses acteurs ni par ses spectateurs. Si la plupart des rencontres sportives font passer la victoire avant la technique, cette dernière est l'essence même du spectacle dans la corrida moderne. Les amateurs de corrida voient en elle une forme artistique, un spectacle proche du ballet à une grande différence près, notée par Hemingway dans Mort dans l'après-midi, « la course de taureaux est le seul art où l'artiste est en danger de mort ».

Six taureaux et trois toreros s'affrontent traditionnellement dans une corrida, chaque matador luttant contre deux taureaux. Le combat mano a mano est une variante consistant en un duel entre deux matadors, chacun tuant deux ou trois taureaux. Il arrive, presque chaque année, qu'un matador de renom, tel que Joselito par le passé ou El Juli au début du xxie siècle, tue à lui seul les six taureaux dans un élan de bravoure. Les taureaux sont attribués à chaque matador par un tirage au sort (sorteo) réalisé par les assistants des matadors le matin même des combats. Les taureaux de combat ne viennent pas de troupeaux de race bouchère ou laitière, mais d'une race spéciale, particulièrement sauvage, élevée depuis des siècles dans ce seul et unique but. Ces taureaux de combat adultes peuvent peser jusqu'à 600 ou 700 kilogrammes.

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En Espagne, la saison des corridas démarre à la fin du mois de mars et se termine début octobre. Les meilleurs toreros s'envolent ensuite vers Lima pour la saison péruvienne qui dure un mois, avant de se rendre à Mexico pour se produire en décembre et en janvier. Les aspirants toreros (novilleros) combattent uniquement en été au Mexique, tandis qu'en Espagne ils se produisent pendant toute la saison, de mars à octobre.

Histoire

Origines et premières formes

Si la tauromachie s'inspire de nombreux spectacles plus anciens, ses véritables origines demeurent inconnues. Les historiens ont longtemps débattu de l'importance relative à accorder à ces diverses influences. Certains voient les racines de cet art dans l'Espagne maure, d'autres dans le culte du taureau célébré en Mésopotamie, et d'autres encore dans un rite prénuptial courant dans l'Espagne médiévale consistant à taquiner un taureau. La tauromachie moderne mêle probablement des influences, des rites et des cultures qui remontent pour un grand nombre à des milliers d'années. Les fouilles du site de Cnossos, en Crète, ont par exemple mis au jour des fresques minoennes (datant environ de 1500 av. J.-C.) représentant des scènes de jeux avec des taureaux.

Les combats et les spectacles de taureaux étaient monnaie courante dans la Rome antique, mais l'action dépendait de la capacité naturelle du bétail domestiqué à fuir ses assaillants. Le bétail ibérique utilisé dans les combats tels qu'on les connaît aujourd'hui se caractérise par sa capacité à attaquer avec une fougue constante son adversaire sans que celui-ci l'ait provoqué. Avant les guerres puniques, les Celtibères connaissaient bien les troupeaux sauvages qui peuplaient leurs forêts. Ils firent de la chasse un jeu et élevèrent ces animaux pour s'en servir à la guerre et mettre ainsi à profit leur férocité. Les Celtibères qui défendaient la ville d'Elche assiégée par Hamilcar Barca, le père d'Hannibal, en 228 av. J.-C. rassemblèrent ainsi un grand troupeau de ces bêtes sauvages, les harnachèrent à des chariots chargés de bois résineux enflammé par des torches, et les lancèrent sur l'ennemi. Barca fut tué dans la mêlée qui s'ensuivit, et son armée anéantie. Carthaginois et Romains furent stupéfaits par le récit de la mort d'Hamilcar Barca. Ils restèrent également ébahis aux récits des jeux organisés dans la province de Bétique (Andalousie), durant lesquels les hommes affichaient leur adresse et leur courage avant d'asséner, à l'aide d'une hache ou d'une lance, un coup fatal à l'une de ces bêtes. Les Ibères auraient déjà utilisé des peaux ou des capes pour éviter les charges répétées des taureaux avant de les tuer.

Plaza Mayor, Madrid - crédits : Françoise Weyl

Plaza Mayor, Madrid

La conquête de la péninsule Ibérique par les Vandales, les Suèves et les Wisigoths modifia les coutumes des Ibères. Trois siècles de domination des Wisigoths (415-711 apr. J.-C.) firent évoluer ces jeux en un spectacle montrant la supériorité de la force brute de l'homme sur le taureau, tradition qui fut par la suite adoptée par les toreros portugais et qui perdure à ce jour. Les musulmans africains qui envahirent l'Andalousie en 711 apr. J.-C. mirent aussi à leur goût ces jeux associés à des taureaux : remarquables cavaliers, ils reléguèrent aux assistants à pied la tâche subalterne consistant simplement à faire manœuvrer l'animal pour que leurs maîtres à cheval puissent mieux jouer de leur lance. Les tournois consistant à projeter une lance sur des taureaux naquirent de la rivalité entre les chefs maures et les chevaliers ibères chrétiens, et, à l'exception des grandes villes qui possédaient des amphithéâtres (Séville, Cordoue, Tolède, Tarragone, Mérida et Cadix), la plupart des combats festifs se tenaient sur la place publique, la plaza (qui a donné en castillan moderne plaza de toros, « arène »,), ou dans des terrains dégagés situés en dehors de la ville. Ces foires locales accompagnées de combats de taureaux devinrent courantes à la fin du xie siècle et sont encore populaires aujourd'hui, les plus célèbre étant peut-être celles de la San Fermín, au cours desquelles les taureaux sont lâchés dans les rues de Pampelune.

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L'Église chrétienne s'opposa dès ses débuts à ces spectacles et ne considéra jamais le taureau sous un bon jour. Le concile de Tolède, réuni en 447, comparait en fait le Diable à cet animal : « apparition noire, monstrueuse et gigantesque, avec des cornes sur la tête, les pieds fourchus, des oreilles d'âne, des poils, des griffes, des yeux féroces, des dents terribles, un immense phallus et dégageant une odeur de soufre ». Cette description surprend moins lorsque l'on se souvient que le concurrent majeur de l'Église chrétienne naissante était Mithra, dieu païen d'origine perse dont le culte s'était répandu dans tout l'Empire romain. La principale cérémonie liée au culte mithriaque était le sacrifice d'un taureau, rappelant celui que Mithra aurait égorgé selon le mythe, exploit dépeint dans de nombreuses œuvres d'art de l'Antiquité.

Évolution à l'époque moderne

Le premier castillan monté à cheval à avoir jeté des lances sur un taureau dans une arène fermée serait Rodrigo Díaz de Bivar, dit le Cid (1043-1099). Lorsque les musulmans furent chassés d'Espagne au xve siècle, les tournois de jet de lance sur taureau devinrent le loisir favori de l'aristocratie. Quand les Habsbourg montèrent sur le trône d'Espagne en 1516, les membres de la cour se firent une obligation de participer à ces tournois, et Charles Quint se fit apprécier de ses sujets en jetant une lance sur un taureau le jour de l'anniversaire de son fils, Philippe II. La reine Isabelle s'opposa cependant aux combats de taureaux, et, en 1567, le pape Pie V interdit complètement cette pratique, excommuniant tous les princes chrétiens qui l'approuvaient et refusant la sépulture chrétienne à toute personne tuée dans l'arène. La popularité des corridas allant grandissante, l'Église finit cependant par lever son interdiction et par consentir un phénomène auquel elle ne pouvait visiblement mettre un terme. Elle fit néanmoins changer certaines règles pour réduire le nombre de taureaux sacrifiés, en supprimant par exemple la pratique courante des combats de masse (lâcher simultané de dizaines de taureaux pendant le même combat). Les corridas devinrent tellement indissociable de la vie quotidienne espagnole qu'elles finirent par être organisées pendant les fêtes religieuses et celles de certains saints. Aujourd'hui encore, la saison des corridas démarre aux alentours de Pâques. Les festivités liées à la tauromachie, qui reflètent souvent les identités et les traditions locales et régionales, sont des événements importants pour la communauté.

Pendant six cents ans, les spectacles taurins tournèrent autour d'un aristocrate monté à cheval et armé d'une lance. Pendant le règne de Philippe IV (1621-1665), la lance fut abandonnée au profit du rejoncillo (courte lance), et des jambières furent introduites pour protéger les toreros montés. Lorsque les prouesses de ces nobles devenaient connues en dehors de leurs terres, ils étaient invités à se présenter à des joutes lors de tournois provinciaux. La performance des nobles était cependant entravée par leur méconnaissance de l'esprit des taureaux d'autres régions. Leurs laquais, assistants à pied qui faisaient se déplacer les taureaux avec audace en faisant traîner des capes devant ces derniers, purent ainsi accroître leur expérience et leur renommée. Le caractère de la corrida évolua à nouveau lorsque la maison des Bourbon accéda au trône d'Espagne, Philippe V (1700-1746) désapprouvant les combats taurins. L'aristocratie abandonna progressivement cette pratique, mais la population la perpétua avec enthousiasme. Les nobles qui s'adonnaient toujours à la tauromachie le faisaient désormais à pied, reléguant à leurs anciens assistants, désormais à cheval, le rôle secondaire de picador.

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L'évolution inverse se produisit au Portugal. Tandis que les combats taurins montés disparaissaient en Espagne et que les masses les transformaient en corridas à pied telles que nous les connaissons aujourd'hui, les courses de taureaux à cheval devinrent un véritable art et une spécialité du Portugal. Les principaux acteurs de la tauromachie portugaise sont les rejoneadores, des lanciers montés sur des chevaux admirablement dressés, et les forcados. Une fois le taureau blessé par la lance, ces derniers, souvent jeunes et audacieux, provoquent l'animal pour l'inciter à charger. Placés en file indienne, ils sautent un à un sur l'animal en train de charger et luttent avec lui pour l'arrêter. L'objectif de ce type de course n'est pas de tuer le taureau mais de démontrer l'extraordinaire adresse des chevaux, qui chargent héroïquement et évitent le taureau à une allure folle, ne se blessant pratiquement jamais, ainsi que l'habileté et le courage des rejoneadores et des forcados. Dans ces spectacles, les cornes du taureau sont matelassées, émoussées ou surmontées de boules en laiton. L'animal reçoit bien une lance, ce qui demande une grande habileté au rejoneador car il doit guider son cheval à la pression de ses genoux et non avec les rênes, tout en se penchant vers l'avant afin de planter la lance dans le taureau ou de la projeter vers lui. En revanche, l'animal n'est pas tué dans l'arène, mais abattu une fois rentré dans son corral. On appose traditionnellement « don », ou « doña » pour les femmes, au nom des rejoneadores, pour indiquer leur appartenance à l'aristocratie et rappeler les premiers combats de taureaux, lorsque les nobles jugeaient indigne de tuer pied à terre. Cette forme de tauromachie montée est appelée rejoneo.

Au xviiie siècle, la tauromachie acquit une telle popularité que l'élevage des taureaux devint une activité très lucrative. Les troupeaux furent alors élevés de manière à obtenir des caractéristiques précises. De nombreuses familles royales européennes rivalisaient pour présenter les bêtes les plus féroces dans l'arène. L'absence de troupeaux fougueux à l'état naturel est l'une des raisons pour lesquelles la corrida ne s'enracina jamais complètement en France et en Italie.

Essor de la tauromachie professionnelle

L'un des plus célèbres premiers toreros professionnels fut Joaquín Rodríguez Costillares (né à Séville en 1729). Père de la tauromachie moderne (à pied), Costillares est à l'origine de la pompe et de l'apparat associés au spectacle commercial qu'est aujourd'hui la corrida. Il créa l'une des principales passes de cape : la véronique (verónica). Il fut aussi le premier matador à porter un costume savamment brodé. Enfin, il inventa l'estocade la plus courante dans la mise à mort : le volapié. Selon cette méthode, le matador s'avance vers le taureau, hypnotisé par la cape abaissée au sol, et enfonce de la main droite l'épée entre les épaules de l'animal. Le rival de Costillares, Pedro Romero (de Ronda, en Andalousie), réputé pour avoir tué 5 600 taureaux en 28 ans de carrière, popularisa l'utilisation de l'estoque, épée utilisée aujourd'hui encore pour donner le coup fatal, ou estocade, et de la muleta, pièce de serge ou de flanelle écarlate tendue sur un manche de bois de 56 centimètres de longueur qui forme la petite cape utilisée dans le dernier acte du combat. Romero était célèbre pour avoir exécuter la plus dangereuse, la plus spectaculaire et la plus difficile des deux méthodes de mise à mort, le recibiendo, dans lequel le matador se tient immobile en attendant que le taureau charge sur son épée pour le recevoir. Ces deux hommes représentent les deux écoles classiques de la tauromachie, l'école de Ronda se caractérisant par une approche plus sobre de la corrida que celle de Séville, variée et fleurie.

Dans toutes ces premières corridas, la mise à mort était le clou du spectacle, et il n'en était que plus beau si elle intervenait après quelques passes de cape seulement. Cette caractéristique évolua au fil du temps, et l'aptitude du matador à faire travailler le taureau, à dominer l'animal, et à déployer avec grâce son arte de torero commença à être autant appréciée, voire plus, que la mise à mort même. Juan Belmonte, dont la carrière dura de 1910 à 1935, est le principal acteur de cette évolution.

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Vers la fin du xviiie siècle, le peintre Francisco Goya (1746-1828), qui avait esquissé de nombreuses scènes de combats taurins dans la série La tauromaquia, conçut une tenue professionnelle particulière pour les toreros (portée aujourd'hui uniquement lors de galas dans les corridas de style Goya, les corridas goyescas). Les toreros se mirent aussi à utiliser un filet pour retenir leurs longs cheveux, puis à les nouer à la base du crâne pour se protéger lorsqu'ils chutaient, renversés par un coup de corne. Cette coiffure évolua ensuite vers un casque hémisphérique en liège recouvert de satin et une courte queue de cheveux, ou natte, qui devint le trait distinctif de la profession. Dans la Rome antique, les gladiateurs qui combattaient les taureaux dans le Colisée portaient une sorte de natte caractéristique, dont s'inspire la natte postiche (coleta) que portent aujourd'hui les toreros. En espagnol, on dit toujours d'un matador prenant sa retraite qu'il « coupe sa natte ».

Après l'arrivée du chemin de fer, les arènes se multiplièrent rapidement en Espagne, au Portugal et en Amérique latine, où les colons avaient introduit les corridas. Elles firent ainsi partie de la vie quotidienne espagnole et latino-américaine bien avant les stades de football. Les corridas du Nouveau Monde présentaient divers intérêts. Pour certains, il s'agissait d'un terrain d'entraînement pour toreros débutants et matadors de second rang ; pour d'autres, elles constituent aujourd'hui encore une source de contrats lucratifs en dehors de la saison espagnole (de novembre à février).

L'essor de la corrida s'accompagna d'une évolution dans le comportement des aficionados. Bien que ces derniers ne démontrent aucune attitude ressemblant au hooliganisme souvent associé aux supporters de football contemporains, les foules assistant à des combats taurins n'ont pas toujours su se contenir par le passé. Leur réputation de voyou était autrefois telle qu'au xixe siècle des législations furent souvent adoptées pour interdire aux spectateurs de lancer dans l'arène des fruits, des bâtons, des pierres, et même des cadavres d'animaux. Aujourd'hui, certains comportements de groupe sont en fait généralement associés à des arènes spécifiques. Les foules de Séville seraient ainsi raffinées et sophistiquées, parfois d'un calme déconcertant, et se préoccuperaient surtout de l'esthétique du spectacle. Celles de Madrid, sérieuses, sévères et critiques, autorisent quelques interludes musicaux exécutés par l'orchestre de la corrida et exigent aussi bien une mise à mort impeccable que des passes gracieuses. Enfin, à Bilbao et à Pampelune, les spectateurs seraient festifs, bruyants et imprévisibles.

Situation au début du XXIe siècle

Si le football demeure le sport le plus populaire dans la péninsule Ibérique et en Amérique latine, la corrida continue d'attirer des foules considérables, malgré les campagnes visant à l'interdire. En 1996, quelque 40 millions de spectateurs assistèrent ainsi à des combats de taureaux et à des fêtes taurines. L'Espagne enregistra un record de 650 combats, au cours desquels près de 3 900 taureaux furent mis à mort, et le public espagnol dépensa presque un milliard d'euros pour admirer des corridas cette année-là. La tauromachie employait alors 200 000 personnes. Célébrée comme une « fête nationale » sous le franquisme, la tauromachie n'est pas également appréciée sur tout le territoire espagnol. Elle se trouve en particulier de moins en moins tolérée en Catalogne. Au Mexique, les corridas ont connu un certain déclin au cours des dernières décennies.

Les arènes de Nîmes - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Les arènes de Nîmes

On dénombrait plus de 600 arènes en Espagne au début du xxie siècle, allant des grands arènes de Madrid et de Barcelone, chacune d'une capacité proche de 20 000 spectateurs, à celles de petites villes qui ne peuvent accueillir que quelques centaines d'aficionados. La taille de la piste d'une arène varie tout au plus de quelques mètres, celles construites en altitude étant plus petites que celles bâties au niveau de la mer afin de compenser la fatigue générée par l'altitude. La Plaza México, construite dans la capitale mexicaine, accueille près de 55 000 spectateurs ; c'est la plus grande arène au monde. La Plaza de Acho, construite à Lima (Pérou) au xviiie siècle, est l'une des plus anciennes. La Real Maestranza de Séville et la Plaza Monumental de Madrid, communément appelée Las Ventas, sont les deux plus prestigieuses arènes utilisées pour les courses de taureaux. Construite en pierres dans un style néoclassique en 1785, la plus vieille arène d'Espagne, à Ronda, est toujours utilisée. De nombreuses activités annexes souvent associées de nos jours aux événements sportifs (vente de nourriture à emporter, distribution de programmes et de publicités) accompagnent la corrida, et certaines arènes hébergent également des musées de la tauromachie.

Du fait du tourisme et de la télévision – de nombreux combats de taureaux étant diffusés sur les écrans chaque semaine en Espagne et dans de nombreux pays d'Amérique latine –, il y a aujourd'hui bien plus de corridas qu'à l'époque d'Hemingway. Il existe un petit nombre d'aficionados très actifs en Angleterre, en France et aux États-Unis.

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Les toreros réputés se produisent plus de 100 fois par saison et deviennent des personnages médiatiques très bien payés, comme l'illustrait parfaitement à la fin du xxe siècle le célèbre Julián López Escobar, dit El Juli. Cet Espagnol né en 1982 démarre sa carrière professionnelle à l'âge de quinze ans. En 1997, il se voit accorder la plus haute récompense, les deux oreilles et la queue, dans l'arène de Mexico. Il était en 2000, à l'âge de dix-sept ans, le matador le mieux payé de l'histoire de la tauromachie.

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Plaza Mayor, Madrid - crédits : Françoise Weyl

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Les arènes de Nîmes - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Les arènes de Nîmes

The Bull, E. Haas - crédits : Ernst Haas/ Getty Images

The Bull, E. Haas

Autres références

  • ANIMALIER DROIT

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    ...genevois, la chasse n'est plus un sport ni un loisir. Participant de la même logique, le Parlement de Catalogne a voté en juillet 2010 l'interdiction des corridas. La mesure, inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée locale sur initiative populaire, procédait d'une volonté d'affirmer l'identité catalane...

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