Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

OMBRE

Pour la connaissance symbolique, l'ombre apparaît comme une réalité lourde de toutes les angoisses humaines. Le pays de la mort est éprouvé comme le royaume des ombres. Sans être confondue avec l'âme, l'ombre lui est liée. Aussi, dans de nombreuses cultures des interdits entourent ce phénomène : ne pas marcher sur l'ombre d'autrui, ne pas jouer avec l'ombre de quelqu'un ou de soi-même. L'ombre est comme un double du corps, qui le relie à l'âme. Ce qui explique que celui qui vend son âme au diable perd son ombre. D'une façon plus menaçante encore, l'ombre symbolise une présence insaisissable et anonyme qui obsède. Cette angoisse peut se manifester par le sentiment d'être suivi ou d'être observé. L'ombre participe de l'invisible, du caché, du menaçant. Aussi, nombreuses sont les légendes où le passage vers l'inconnu est porte d'ombre. Symbolisant la latence, l'ombre sera perçue comme un « trou » dans le continu habituel du temps. Elle marque une suspension temporelle d'où tout peut surgir pour engloutir le sujet. Ce symbolisme, qui fait de l'ombre le seuil de l'inconnu, semble lié à la propriété étrange qu'a l'ombre de s'agrandir et de se rétrécir. Le passage vers l'invisible se découvre dans le mouvement de l'ombre. Dans de nombreuses cultures, midi, l'heure de l'ombre la plus courte, est l'heure dangereuse où les mondes tangibles et intangibles se chevauchent, et où s'entrouvre le passage sur l'au-delà. Pendant un instant, les formes réelles, les contours et les ombres se confondent. L'ombre est ainsi liée symboliquement à la question des rapports de la forme et de sa réalité sensible. Dans le mythe de la caverne, Platon reprend en ce sens ce symbole de l'ombre-illusion. C'est également pourquoi, selon Henry Corbin, les représentations symboliques du monde suprasensible (miniatures persanes, icônes) sont dénuées d'ombre. Mais l'ombre est tout autant une réalité symbolique à valeur bénéfique : la pénombre est le lieu propice à la méditation et le symbole de la sagesse cachée. Dans le taoïsme, le chemin du sage est celui qui se dessine à la limite de l'ombre et de la lumière. Sage est celui qui sait épouser les changements continuels du monde sublunaire, où ombre et lumière s'alternent.

Carl Gustav Jung a interprété le symbolisme de l'ombre comme la manifestation consciente d'un archétype majeur du processus d'individuation. La confrontation avec sa propre ombre constitue la première épreuve pour le moi. Dans les rêves, l'ombre peut apparaître comme un personnage sombre, menaçant, au visage caché. Certains tableaux de Chirico l'illustrent parfaitement, où seule une ombre laisse deviner la présence angoissante d'un personnage qui se tient hors champ. Mythologiquement, l'archétype de l'ombre est souvent représenté sous l'image d'un mur qui bloque toute avance d'un héros ou l'emprisonne dans un dédale menaçant. Regarder le visage caché, amener dans le champ le personnage qui s'y dérobe, combattre un monstre qui garde le passage vers l'autre côté du mur ou qui se cache au cœur du labyrinthe, ces gestes expriment la nécessité psychologique de reconnaître et d'intégrer une face cachée et inacceptable de soi. Dans le processus analytique de rencontre avec soi-même, l'ombre est le premier aspect de l'inconscient.

— Alain DELAUNAY

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Alain DELAUNAY. OMBRE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • L'ENVERS DU VISIBLE. ESSAI SUR L'OMBRE (M. Milner)

    • Écrit par Jean Marie GOULEMOT
    • 991 mots

    Apparemment, quoi de plus simple que de définir l'ombre ! Au gré d'un parcours quasi encyclopédique qui embrasse textes antiques, textes sacrés, théologie, mystique, philosophie, esthétique, littérature, pratiques et théories picturales, jeux optiques, Max Milner montre, avec L'Envers...

  • JUNG CARL GUSTAV (1875-1961)

    • Écrit par Étienne PERROT
    • 5 215 mots
    • 1 média
    ...et le caractère indispensables d'un vêtement, risque bien souvent de nous dissimuler notre nature individuelle. Il faut ensuite affronter et intégrer l' ombre, partie de nous-mêmes constituée par nos défauts et les produits de la fonction psychologique la moins différenciée. L'ombre a cependant...
  • LUMIÈRE & TÉNÈBRES

    • Écrit par Alain DELAUNAY
    • 1 312 mots

    L'opposition lumière-ténèbres constitue un symbole universel. Pour en esquisser l'enjeu symbolique, on peut introduire trois grandes acceptions de la lumière sur le plan de l'imaginaire : la lumière-séparation, la lumière-orientation, la lumière-transformation. Ces trois aspects...