NOVALIS (1772-1801)

Novalis - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Novalis

De Novalis, on croit tout connaître lorsqu'on sait le portrait de l'adolescent rêveur, les poésies mystiques, et cette Fleur bleue tant raillée par Heine.

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Cependant, celui qui allait devenir un intercesseur pour les surréalistes, ce frère cadet tout ensemble de Hegel, de Hölderlin, de Beethoven, qui partageait avec les romantiques d'Iéna un enthousiasme profond pour les religions nouvelles et les mythes anciens, une même foi en l'idéal encyclopédique de son époque et les théories philosophiques de Schlegel, de Schleiermacher et de Schelling, ne se réduit pas à l'aimable image d'un poète du songe, ou d'une nouvelle Renaissance.

La clef se trouve bien plutôt en l'homme Novalis qui, entre 1796 et 1801, écrit toute son œuvre. Trois années d'un journal écrit au jour le jour, de fragments, d'aphorismes, il n'en faut pas plus pour que ce pollen, selon le titre même donné par Novalis à l'un de ses recueils, féconde l'imagination de ses contemporains, et, surtout, donne naissance à un roman inachevé, Heinrich von Ofterdingen, écrit au seuil de la mort. De la formule brève du Journal intime aux vers exaltés des Hymnes, des invocations des Hymnes à la nuit à la quête merveilleuse de la Fleur bleue, tel est l'itinéraire qu'il faut découvrir.

Un singulier mystique

La Thuringe, pays où manquent les fleuves, « ces yeux du paysage », comme le regrettera Heinrich von Ofterdingen, et un esprit profondément religieux, ce sont là deux héritages que lèguent à Novalis son enfance et son éducation. Dans la famille où naît Friedrich von Hardenberg, à Wiederstedt, les lectures bibliques, le culte quotidien de cette petite communauté piétiste dessinent déjà la voie de contemplation qui sera la sienne. Ce sont ensuite les études de droit à Iéna, puis à Leipzig. Mais rien de plus classique que l'admiration qu'il porte à Goethe et à Schiller, rien qui annonce les Hymnes ou le roman dans le drame que le jeune homme esquisse dès 1790, Kunz von Stauffungen. Quelques années passeront avant que Novalis voie dans Iéna la ville des cénacles romantiques – comme Weimar avait été celle du classicisme. En 1795, il se fiance avec Sophie von Kühn, âgée de treize ans, et son existence semble devoir être celle d'un fonctionnaire plutôt que d'un poète romantique, puisqu'il se consacre à l'administration des Salines. Une vie tranquille, sans histoire ni vécue ni racontée. Mais, après l'heureux été de 1795 – n'avons-nous pas dans les premières effusions de Heinrich et de Mathilde un souvenir de cette félicité fugitive ? – Sophie tombe gravement malade, et meurt, âgée de quinze ans à peine. « Un quart d'heure m'a déterminé », dira plus tard Novalis à son frère.

« Christ et Sophie » : ces trois mots notés dans le Journal intimeque tiendra Novalis très précisément du trentième au cent-dixième jour après la mort de Sophie soulignent la résolution qu'il avait prise. Décidé tout d'abord à ne pas survivre à sa bien-aimée, il entend faire de sa vie une préparation à ces épousailles que sera la mort et une lente métamorphose de l'amour en religion, de la religion en mythe. « Mon amour s'est transformé en flamme, et cette flamme consume peu à peu ce qui est terrestre en moi. » « Je le sens, écrit-il à Schlegel, elle était à mon insu la pierre angulaire de mon repos, de mon activité, de ma vie entière, l'âme de ma vie. » Mais il est pour le moins étonnant que l'on ait seulement retenu de Novalis ces paroles exaltées, car ce qui frappe le lecteur de ce Journal dont on ne cite que quelques pages, toujours les mêmes, affirmant la religion de Sophie et du Christ triomphateur de la mort, c'est ce mot constant de « résolution » qui ne parvient pas à masquer tous les doutes et les incertitudes.

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Là où l'on a voulu voir seulement ferveur, élan spontané, on trouve le plus souvent pénibles ressassements et atermoiements. Est-ce bien le même Novalis qui énumère le menu de ses repas, qui écrit : « Je pense bien fort à Sophie, mais je suis rarement ému » ? ou encore : « Oh, comme j'ai de peine à demeurer sur les sommets ! » Doute et remords de ces serments non ou mal tenus, de ces promesses que cet homme à la foi scrupuleuse se reprochait de n'observer qu'imparfaitement, c'est là un côté du poète que négligent trop souvent les commentateurs. Est-ce vraiment faire injure à la parfaite figure de Novalis que d'affirmer que sa poésie n'aurait pas été sans ce lent et difficile cheminement ? Car ce poète vit bel et bien sur terre. Il se fiance avec Julie von Charpentier, travaille aux salines saxonnes de Weissenfels, puise dans les sciences ses images, soutient que « les mathématiciens seuls sont des heureux ». Il arrive aussi que ce Novalis devienne inquiétant. Est-ce encore le même rêveur qui remarque, dans La Chrétienté ou l'Europe (Die Christenheit oder Europa), ouvrage qu'Albert Béguin conseillait de lire à celui qui veut connaître le vrai Novalis : « Une grande erreur politique, c'est que chez nous, l'État ne se montre pas assez. L'État devrait être visible partout. Chaque homme devrait porter une marque de sa qualité de citoyen. Ne pourrait-on introduire partout des insignes et des uniformes ? » Est-ce enfin l'amant d'une Sophie divinisée qui écrit que « les maîtresses de maison méritantes devraient recevoir des décorations », que « toute femme cultivée devrait avoir dans sa chambre le portrait de la reine » ? On suit mieux en vérité Novalis lorsqu'il décrit les univers de ses rêves que lorsqu'il lui vient sous la plume ces étranges et sinistres prophéties pour les générations futures.

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