Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MODERNITÉ

Esthétique

Si le terme latin modernus, au sens d'« actuel » et non de « nouveau », apparaît au ve siècle, il faut attendre la Renaissance italienne pour que l'adjectif « moderne » (et ses équivalents dans les langues européennes) soit utilisé avec les connotations de nouveauté et d'innovation qu'il possède encore aujourd'hui. Puis au xixe siècle, la « modernité » fait irruption sous la plume d'écrivains tels que François-René de Chateaubriand, Honoré de Balzac ou Théophile Gautier.

C'est à ce dernier que l'on doit l'introduction du mot dans le domaine de la critique d'art, avec un article du Moniteur universel, en 1855, à propos d'un tableau du peintre William Mulready : « Il serait difficile de rattacher cet artiste à aucune école ancienne, car le caractère de la peinture anglaise est, comme nous l'avons dit, la modernité. Le substantif existe-t-il ? Le sentiment qu'il exprime est si récent que le mot pourrait bien ne pas se trouver dans les dictionnaires. »

Baudelaire et la modernité

Les critiques d'art de Charles Baudelaire restent cependant la référence principale pour une notion qui marquera son époque, ainsi que pour la plupart des approches ultérieures. Dès le Salon de 1845, Baudelaire écrit de Delacroix, dans « Tableaux d'histoire », qu'il est « décidément le peintre le plus original des temps anciens et des temps modernes. » Dans le Salon de l'année suivante, outre le texte intitulé « De l'héroïsme de la vie moderne », on peut lire dans « Qu'est-ce que le romantisme ? » : « Qui dit romantisme dit art moderne – c'est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspirations vers l'infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts. [...] Que la couleur joue un rôle très important dans l'art moderne, quoi d'étonnant ? Le romantisme est fils du Nord, et le Nord est coloriste... »

En 1863, les idées de moderne et de modernité se trouvent longuement développées dans « Le Peintre de la vie moderne », texte fondateur pour les idées d'actualité, d'originalité, pour l'imagination « reine des facultés », et surtout, pour le culte du nouveau. De l'artiste moderne, Baudelaire écrit : « Il cherche ce quelque chose qu'on nous permettra d'appeler la modernité. [...] Il s'agit, pour lui, de dégager de la mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, de tirer l'éternel du transitoire. [...] La modernité c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable ». Cet essai donnera lieu à une longue série de spéculations, d'affirmations, de programmes esthétiques autour du fait d'être moderne en art.

Considérer le texte de Baudelaire comme l'une des principales sources de l'art moderne et de la modernité équivaut déjà à adopter une position moderniste. Or les périodisations ne sont pas toujours les mêmes selon qui les considère, un historien de l'art pouvant faire débuter l'art moderne aux environs de 1863 – année où, lors du Salon des refusés, Manet présente Le Déjeuner sur l'herbe –, quand, dans le champ de l'histoire, les Temps modernes commencent en 1492, avec la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb.

Il s'agit bien d'une conception prédéterminant ce qui peut ou non entrer dans le cadre de la modernité. Rejeter la naissance de l'art moderne en 1863, c'est rejeter l'idée d'une rupture radicale revendiquée par des critiques tels que Baudelaire, et considérer cette période comme un simple moment de transition. Il est vrai que les diverses querelles des Anciens et des Modernes, au xviie siècle, tendent à consolider une telle conception. Mais[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître assistant de sociologie à l'université Paris-X-Nanterre
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres modernes, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
  • : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art

Classification

Pour citer cet article

Jean BAUDRILLARD, Alain BRUNN et Jacinto LAGEIRA. MODERNITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • MODERNITÉ, notion de

    • Écrit par André AKOUN
    • 1 313 mots

    La notion de modernité est floue dans son extension, et incertaine dans sa compréhension. C'est une notion autoréférentielle et polémique (ce qui ne signifie pas qu'elle soit inutile ou superfétatoire). Elle ne se pose qu'en s'opposant à la tradition telle qu'elle-même la...

  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par Milovan STANIC, François TRÉMOLIÈRES
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...plusieurs de ses essais critiques, Baudelaire, se référant explicitement à la persistance de la Querelle, a tenté de donner une nouvelle définition de la modernité qui ne trahirait pas la beauté des œuvres antiques. Il cherche une voie commune à sa conviction « que l'absence du juste et du vrai dans l'art...
  • ART CONTEMPORAIN

    • Écrit par Yves MICHAUD, Raymonde MOULIN
    • 12 432 mots
    • 4 médias
    ...du « nouveau ». Le moderne vivant ne cesse de tomber dans le passé inactuel. Le moderne s'oppose donc à lui-même dans le constant défi du nouveau, et la modernité se voit condamnée à une évolution saccadée faite de surenchères avant-gardistes, chacune d'entre elles rejetant celles qui l'ont précédée dans...
  • BAUDELAIRE CHARLES (1821-1867)

    • Écrit par Pierre BRUNEL
    • 6 903 mots
    • 2 médias

    Paul Valéry, dans une conférence de 1924 dont le texte, Situation de Baudelaire, fut publié dans le recueil Variété (1924-1944), a fait du poète des Fleurs du mal le pionnier de la modernité ; pour lui Rimbaud, Verlaine et Mallarmé constituent la triade majeure.

    Telle que Baudelaire l'a conçue,...

  • ÉDUCATION - Philosophie de l'éducation

    • Écrit par Daniel HAMELINE
    • 2 343 mots
    • 1 média
    ...en définitive que sur fond d'un « grand récit » (J.-F. Lyotard) qui lui conférât sa vraisemblance et son opportunité en lui fournissant sa métaphore. Prolongeant une vision théologique et téléologique de l'homme et du monde, le récit du progrès offrait la saga où légitimer, pêle-mêle, les entreprises...
  • Afficher les 35 références

Voir aussi