Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MODERNITÉ, notion de

La notion de modernité est floue dans son extension, et incertaine dans sa compréhension. C'est une notion autoréférentielle et polémique (ce qui ne signifie pas qu'elle soit inutile ou superfétatoire). Elle ne se pose qu'en s'opposant à la tradition telle qu'elle-même la définit. Le mot apparaît tardivement, vers 1850, chez Théophile Gautier et chez Baudelaire qui écrit : « Ainsi il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? À coup sûr, cet homme tel que je l'ai dépeint, ce solitaire d'une imagination active, voyageant à travers le grand désert d'hommes... cherche ce quelque chose qu'on nous permettra d'appeler la modernité. » La modernité devient alors un modèle culturel, une référence identitaire revendiquée, mais qui s'inscrivait bien en amont de ce xixe siècle.

Origines

Les différentes étapes en sont faciles à repérer. Il y a d'abord l'époque de la Renaissance, qui voyait dans le Moyen Âge la nuit de l'esprit et se concevait comme l'ère du dégel, puis celui des Temps modernes, avec la découverte de l'Amérique, l'invention de l'imprimerie, la nouvelle physique et la nouvelle astronomie qui ne faisait plus de la Terre le centre du monde, un monde qui changeait de base. Le théocentrisme se transforme alors en humanisme et, dans l'espace religieux, la Réforme s'attaque à l'édifice jugé dogmatique de l'Église catholique et romaine.

Aux xviie et xviiie siècles, la modernité n'a pas encore de nom mais trouve ses fondements philosophiques et politiques. Et d'abord avec les penseurs du contrat social – Hobbes, Locke, Rousseau ou Kant – qui modifieront radicalement la vision du politique et de la société. La modernité s'énonce dès lors sous le nom de « progrès » et sous le programme des Lumières. Elle va se revendiquer, au milieu du xixe siècle, comme valeur et choix de vie jusque dans le quotidien. Profitant de l'essor des communications et de la presse de masse, elle va instituer son imperium dans toutes les sphères de la société, tant en art qu'en politique, dans les mœurs ou dans la mode, bousculant le « vieux monde » de la tradition.

La modernité est donc le mode de vie et d'organisation sociale, la configuration culturelle – ce que Hegel appellerait une figure de l'esprit – qui est apparue en Europe vers le xvie siècle et dont la lente cristallisation avait commencé dès le xve siècle. Elle se poursuit aujourd'hui, mouvement sans cran d'arrêt, histoire toujours ouverte, perpétuelle affirmation de la valeur des avant-gardes du moment présent contre les traditions, avant-gardes d'hier. Ainsi peut-on situer dans l'espace (l'Occident) et dans le temps (la Renaissance) l'état civil de la modernité.

Il reste à en définir la nature. En prétendant opérer une rupture radicale, la modernité s'affirme en faisant de tout ce qui n'est pas elle, et qui la précède, un avant indifférencié défini comme archaïque, ou traditionnel. Cette façon de ranger dans une même catégorie les sociétés jugées non modernes semblera désinvolte, quand on sait combien sont dissemblables, et nombreuses, ces sociétés dont on ne retiendrait pour unique caractère que leur commun éloignement d'avec la modernité. Mais, précisément, on pose qu'elles s'en différencient toutes de la même façon et que c'est cette analogie qui les rend semblables dans leur rapport à elle, celle-ci se présentant comme une forme de société qu'un fil rouge sépare de toutes les autres. Il faut donc retenir comme consubstantielle à la modernité cette vive sensibilité à l'absolu de sa différence. Encore faut-il cerner et comprendre cette différence absolue et la forme d'originalité qui est celle de ce mode d'installation dans le monde.

On ne[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne

Classification