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SCHELER MAX (1874-1928)

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Les valeurs et l'éthique

Scheler a développé sa théorie des valeurs en critiquant la morale formelle de Kant (Le Formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs). Cette morale rigoriste, en affirmant que la volonté se donne à elle-même sa loi, rend vaine l'autorité de Dieu, de la personne, du commandement d'amour ; hostile aux penchants, elle ignore la lucidité spirituelle des sentiments qu'elle confond avec des phénomènes vitaux. Excluant toute intuition autre que sensible, Kant tenait pour formel l'a priori, y compris la loi morale. Or, non seulement les actes affectifs, les sentiments sont intentionnels – comme l'avait vu Franz Brentano, dont Scheler est parfois plus proche que de Husserl –, mais ils saisissent des valeurs indépendantes de la subjectivité. Qualités pures, irréductibles à l'être et aux significations logiques, les valeurs constituent des règnes a priori déterminés, matériels, non des conditions formelles ; reçues avec une évidence immédiate, désirées en leur plénitude et non subies, elles orientent action et connaissance et donnent leur sens aux objets : tel objet peut, par exemple, être appréhendé comme beau sans que l'on ait analysé les caractères de la beauté.

La pluralité des valeurs est irréductible mais ordonnée : chaque valeur a son opposé : le beau et le laid, le sacré et le profane ; de plus, les valeurs dérivées sont subordonnées aux valeurs fondamentales, ou encore celles des choses à celles des personnes, celles du moi à celles d'autrui. Enfin, les couples de valeurs fondamentales forment une hiérarchie a priori, en quatre ordres : l'agréable et le désagréable, puis les valeurs vitales – l'utile et l'inutile, le noble et le commun –, ensuite les valeurs spirituelles – le vrai, le beau, le juste et leurs opposés –, enfin, ordre suprême, les valeurs religieuses, le sacré et le profane. Par des actes qui ont leur évidence propre – on peut être « aveugle aux valeurs » –, l'intuition émotionnelle préfère ou refuse les valeurs et sacrifie les valeurs inférieures aux valeurs supérieures.

Les valeurs morales n'entrent pas dans cette hiérarchie, car elles caractérisent précisément les actes qui – indépendants des biens sensibles comme des fins rationnelles et des devoirs – réalisent en chaque ordre les valeurs supérieures. De là, une grande diversité d'attitudes et d'expériences morales ; de là aussi la conception d'une morale phénoménologique, descriptive, parfois proche de la description des valeurs sociales et culturelles. Cette conception de l'a priori matériel et de l' affectivité permet d'épurer la morale des conflits qui la réduisent à des antithèses abstraites et de laisser la personne s'épanouir dans la confiance et dans l'ouverture au monde : les grandes personnalités morales, inspirées par les valeurs, n'ont pas besoin que leur volonté fasse effort contre leurs penchants.

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Pour citer cet article

Daniel CHRISTOFF. SCHELER MAX (1874-1928) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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Max Scheler - crédits : ullstein bild/ Getty Images

Max Scheler

Autres références

  • ALTRUISME

    • Écrit par
    • 3 328 mots
    • 1 média

    Généralement, le terme d'altruisme qualifie une attitude morale concrète qui, par-delà toute crainte et même toute norme, privilégie autrui. L'altruisme manifeste un débordement de l'amour propre naturel, calculateur et soucieux de préserver le soi, et du désir érotique qui porte...

  • AUGUSTINISME

    • Écrit par et
    • 5 572 mots
    ...sur une connaissance immédiate au moyen des idées générales et de leur vérité qui sont, en fait, autant d'archétypes divins. Plus récemment enfin, un Max Scheler voit en saint Augustin le premier et le seul philosophe chrétien. C'est une conception très augustinienne de l'esprit que développe Max Scheler...
  • AUTRE, psychanalyse

    • Écrit par
    • 1 306 mots

    Le débat philosophique sur autrui est inséparable de la question du primat de la conscience : comment expliquer l'existence d'une autre conscience, sous quelles modalités la rencontrer ?

    La doctrine qui va produire un impact certain sur les réflexions proprement psychologiques est celle...

  • CI-GÎT L'AMER. GUÉRIR DU RESSENTIMENT (C. Fleury)

    • Écrit par
    • 1 115 mots
    ...analytique », et de ce livre, il convenait de commencer par préciser ce qu’il en est de cette amertume. Il était assez logique de le faire en compagnie de Max Scheler, auteur en 1912 d’un ouvrage célèbre intitulé L’Homme du ressentiment. Scheler lui-même s’inspirait d’une thématique centrale chez Nietzsche...
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