MARINE
Par « marine », on entend couramment la puissance navale d'un peuple, d'un pays, d'un État. Ainsi conçu, le terme n'inclut pas, de soi, l'aspect technique, mais connexe, de l'art de la marine, c'est-à-dire la navigation. En revanche, la puissance navale peut être considérée par l'historien dans la dimension géographique des aires maritimes et des espaces politiques où elle s'est développée, ainsi que dans la dimension logique de l'objet de son activité. Une flotte peut être un instrument de présence, de puissance et d'expansion. Sur le plan démographique, elle est un moyen de migrations à longue distance ; sur le plan économique, une des voies du commerce ; sur le plan militaire, une arme politique.
Habituellement, le mot « marine », non accompagné d'un qualificatif, désigne la force navale d'un État ; de cette acception se distingue celle de marine marchande (cf. histoire de la marine marchande), dont l'histoire cependant se mêle si étroitement à celle de la marine militaire qu'il est parfois difficile de les isoler l'une de l'autre.
La notion d'aires maritimes dans lesquelles se développe l'action des marines permet de distinguer sur le globe les grandes étendues océaniques et les mers intérieures du type de la Méditerranée. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les océans n'ont pas été les derniers à connaître les déplacements de flottes importantes, plus par le nombre des bateaux que par leurs tonnages ; ce fut le cas des migrations polynésiennes, malaises et scandinaves respectivement dans le Pacifique, l'océan Indien et l'Atlantique. D'autre part, les détroits par lesquels les mers intérieures communiquent plus ou moins aisément avec les océans introduisent la notion de points stratégiques et de bases dont le contrôle est nécessaire aux marines pour leur sécurité et l'accomplissement de leurs missions. Les îles situées sur les parcours les plus fréquentés remplissent une fonction analogue. Ainsi se définit, à son tour, la notion d'axes maritimes qui, avec celle de bases, constitue l'infrastructure géographique du rôle des marines.
La marine, en son sens de force navale, se définit par ses missions : en temps de guerre, défense de l'intégrité territoriale d'un État et de ses liaisons avec ses territoires extérieurs et avec les États non adverses, surveillance, chasse et combat des bâtiments ennemis, protection des navires marchands (même en temps de paix, contre les pirates), présence nationale manifestant la capacité économique, la puissance et l'indépendance de l'État.
En tant que force militaire, une marine se caractérise par la spécificité technique, complexe et croissante, de son matériel et de ses personnels. Aux trois qualités de vitesse, de capacité et de sécurité qu'on attend de tout navire, le vaisseau de guerre joint l'adaptation aux formes de combat ; son personnel doit associer non seulement les connaissances techniques des exécutants, mais aussi les compétences nautiques et la science stratégique et tactique des états majors. L'officier de marine est devenu un ingénieur et ses subordonnés des techniciens spécialisés.
Une marine militaire a d'autres exigences, que la technique moderne a rendues plus contraignantes : matériaux de construction navale, appareils scientifiques de navigation, liaison, détection et combat ; bases et stationnements protégés, organisation propre (chantiers et corps d'ingénieurs, services logistiques, administration et juridiction spéciales). Enfin, à la différence de la marine marchande soucieuse de profit, la marine militaire doit s'adapter, avant tout, au progrès scientifique et technique et s'entraîner constamment à l'exécution de ses missions. Une contradiction veut que ses matériels se transforment rapidement, alors que leur renouvellement exige du temps et des crédits considérables : d'où la notion de programme naval, établi en tenant compte d'une marge d'adaptation à des circonstances nouvelles. Nécessité politique, la marine tient – ou devrait tenir – dans le budget des États une place correspondant à ses besoins techniques, à sa participation à la recherche scientifique, à la compétence de ses personnels.
Ces caractères et ces exigences actuels de toute marine sont le résultat d'une évolution historique liée, en général, au développement de l'État, que celui-ci soit ville ou vaste territoire. Les forces navales ont d'abord été temporaires et constituées pour faire face à un conflit donné, grâce à la réquisition et à l' armement des navires marchands. Devenues permanentes et dotées de bâtiments et d'équipages spécialisés, les marines ont continué jusqu'à notre époque à recourir au concours de navires marchands, naguère armés pour la course, et maintenant bâtiments auxiliaires.
L'histoire des marines reflétant les divers aspects et étapes du développement politique, intellectuel, technique, économique et social des peuples et des États, son étude doit concilier les points de vue chronologique, géographique et typologique à partir desquels elle peut être analysée.
Flottes primitives et courants migratoires
Historiens et ethnologues se perdent en conjectures sur l'époque et les modalités des migrations océaniennes. Quoi qu'il en soit de l'origine des peuples des archipels océaniens, les migrations ont nécessairement mis en œuvre un nombre élevé d'embarcations, et la longueur des parcours, en toute hypothèse, pose le problème d'une technique empirique de navigation. Si l'on discute encore de la provenance des diverses populations mélanésiennes (notamment des « Canaques ») des archipels de l'ouest, on connaît mieux celle des habitants de la Polynésie (Maoris principalement). Les pirogues à balancier couplées furent les instruments de migrations dont certaines sont approximativement datées : avant le ve siècle (Tahiti), xiie siècle (île de Pâques, Hawaii, Nouvelle-Zélande), xive siècle (Nouvelle-Zélande) et la propagation d'île en île se poursuivit au xviiie siècle. L'hypothèse d'itinéraires empruntés par les migrations venues d'Amérique à la faveur des alizés semble étayée par quelques expériences réalisées vers les Tuamotu (le Scandinave Thor Heyerdahl sur le Kon Tiki, venu du Pérou en 1947) et les Samoa (l'Américain Willis, 1954). En sens inverse, le Français Éric de Bischop avait tenté de démontrer en 1947 la possibilité d'une migration polynésienne vers le Pérou. Ce qui est certain, c'est la parenté ethnique et linguistique des Polynésiens avec les Malais.
Les archipels et péninsules de l'Asie du Sud-Est ont été également le point de départ d'importantes migrations maritimes vers l'ouest, jusqu'en Afrique et à Madagascar. Directement ou par le relais de l'Inde ? Le régime de la mousson fait pencher pour la seconde hypothèse ; de même la majeure partie de l'immigration malaise (au sens large, c'est-à-dire malaise et indonésienne) à Madagascar est probablement passée par la côte africaine et les Comores. Ces migrations ont dû commencer bien avant l'expansion de l'État maritime de Srivijaya, dont Sumatra était le centre. Le Livre des merveilles de l'Inde (xe s.) et le géographe arabe Idrisi (xiie s.) mentionnent la venue, au milieu du xe siècle, d'Indonésiens en Afrique, puis à Madagascar (Wak-Wak). Même le transport de quelques centaines d'émigrants ou de réfugiés supposait une flotte nombreuse.
L'historien connaît mieux les migrations scandinaves. Sans entrer dans la discussion de la localisation du Vinland sur la côte américaine du nord, il est admis, sur la foi des sagas et de certaines chroniques, qu'une voie maritime septentrionale a été fréquentée à partir du viiie siècle. Les formes rondes et les hauts bords des knarrs scandinaves ont permis le transfert des quelques milliers de colons qui peuplèrent les Féroé, les Shetland, les Orcades, l'Islande (xie s.), le Groenland méridional (xe s.) et, finalement, touchèrent l'Amérique (xie s.). Les relations avec la Norvège et le Danemark, et les liens politiques étaient fondés sur l'existence d'une véritable marine.
En bref, se trouve posé le problème des migrations maritimes à haute époque. Les questions sont aussi nombreuses que les rivages abordés et les routes possibles. L'histoire n'apportant que peu de renseignements et l'ethnographie disposant de données difficiles à dater, les hypothèses, même séduisantes, risquent d'être échafaudées sur du sable. Il est aisé de parler de migrations méditerranéennes vers l'Amérique du Sud et d'évoquer le monstre sacré de l'Atlantide ; ce sont des suppositions, non des preuves.
En revanche, les courants migratoires maritimes ne furent pas limités aux navigations primitives. Le Moyen Âge connut les migrations arabe et iranienne vers les côtes (swahilies, étym. sahel) de l'Afrique de l'Est ; l'époque moderne, l'émigration espagnole et portugaise vers l'Amérique latine, la française vers le Canada, l'anglaise vers les futurs États-Unis ; à l'époque contemporaine, l'émigration britannique et islandaise vers l'Amérique et l'Australie, celle des Italiens et des Allemands aux États-Unis, au Brésil et en Argentine, l'implantation indienne en Afrique du Sud et de l'Est, à l'île Maurice ; enfin, la diaspora japonaise, sans oublier, de nos jours, l'exode des boat people fuyant l'Asie du Sud-Est pour des motifs politiques et idéologiques.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel MOLLAT DU JOURDIN : directeur de l'Institut d'économie des transports maritimes, Arcueil
Classification
Médias
Autres références
-
AMIRAL
- Écrit par Ulane BONNEL
- 538 mots
Venu du mot arabe amīr ou emīr (chef), le terme « amiral » désigne dès le xvie siècle, selon Jal (Glossaire nautique, 1848), « le chef des flottes, des armées et de la police navale d'un État ». Il s'applique, d'une part, à celui qui est revêtu de la charge d'amiral, d'autre part, à celui...
-
AZTÈQUES
- Écrit par Rosario ACOSTA NIEVA , Alexandra BIAR et Mireille SIMONI
- 12 581 mots
- 22 médias
...l’importance de la flotte aztèque, estimée par les premiers chroniqueurs espagnols entre soixante et soixante-dix mille pirogues, en faisait une véritable puissance navale. De plus, nombre de témoignages relatent les guerres menées par cette flotte pour assujettir les villages riverains à Tenochtitlán. Mais... -
BREST
- Écrit par Jean OLLIVRO
- 1 068 mots
- 2 médias
-
GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) - Mutineries et désobéissances collectives
- Écrit par André LOEZ
- 2 955 mots
- 2 médias
...protestations se multiplient pendant l’été de 1917. Deux des matelots arrêtés, Albin Köbis et Max Reichpietsch, marqués par des idées de gauche, sont fusillés. Des mutineries de plus grande ampleur surviennent quelques mois plus tard dans la marine austro-hongroise, sur la base navale de Cattaro (Kotor, aujourd’hui...
Voir aussi
- MIGRATIONS HISTOIRE DES
- DISSUASION NUCLÉAIRE
- PACIFIQUE GUERRE DU ou GUERRE NIPPO-AMÉRICAINE (1941-1945)
- NORMANDS
- MARINE HISTOIRE DE LA
- ROYAUME-UNI, histoire, de 1914 à 1945
- NUCLÉAIRES SOUS-MARINS
- ESPAGNE, histoire : XVIe et XVIIe s.
- ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE, histoire, de 1865 à 1945
- JAPON, histoire, de l'ère Meiji à 1946
- PAYS-BAS, histoire, de 1579 à 1830
- GRANDE-BRETAGNE, histoire, les Tudors (1485-1603)
- GRANDE-BRETAGNE, histoire : XVIIIe s.
- GRANDE-BRETAGNE, histoire, de 1914 à 1945
- FRANCE, histoire, du Ve au XVe s.
- FRANCE, histoire, du XVIe s. à 1715
- FRANCE, histoire, de 1789 à 1815
- URSS, histoire
- POLYNÉSIENS
- FRISONS