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LE CORBUSIER (1887-1965)

Théorisation et médiatisation de l’architecture moderne

C’est à Paris qu’il fallait s’installer. Les premiers temps furent difficiles : sans commande, Le Corbusier s’improvisa entrepreneur et ses affaires ne furent guère florissantes. Mais il rencontra rapidement celui qui allait infléchir sa vie et son œuvre : le peintre Amédée Ozenfant (1886-1966). Bien qu’il n’ait qu’un an de plus que le Suisse, il jouera un rôle de mentor décisif pour ce dernier. D’abord en l’incitant à reprendre la peinture, ensuite en fondant avec lui, en 1920, une revue proche des avant-gardes internationales, L’Esprit nouveau. Ce sera aussi un de ses premiers clients parisiens, avec la maison-atelier achevée en 1924, qui arbore déjà des traits qui seront taxés de « nudisme » : murs enduits en blanc, verrière industrielle en toiture, grande baie vitrée, fenêtres en longueur standardisées, espace à double hauteur, optimisation du plan.

Ozenfant a ranimé chez Le Corbusier la flamme de l’artiste plasticien, flamme qui ne le quittera plus ; elle le mènera du dessin et la peinture à la sculpture, en passant par les arts appliqués (tapisserie, émaux). Toujours, l’architecte a insisté sur le rôle fondamental de ce « labeur secret » accompli dans ce qu’il appelait « l’atelier de la recherche patiente », c’est-à-dire celui du peintre. Toute sa vie, il a consacré à cette activité la moitié de ses journées et n’a eu de cesse de la faire reconnaître. C’est aujourd'hui chose faite, mais, jusqu’à une période récente, seules les œuvres des années 1920 étaient prisées des critiques et des collectionneurs.

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À l’occasion de leur première exposition commune en 1918, les deux amis publièrent un manifeste, Après le cubisme, et fondèrent un nouveau mouvement artistique : le purisme. Comme son nom l’indique, il s’agissait de dépasser ce courant par un retour à un ordre classique, avec des compositions frontales de sujets dénués de pathos. Dans les récits mythifiés qu’il donnera de sa vie, Le Corbusier présentera La Cheminée (1918) comme son tout premier tableau ; avec la simplicité et la rigueur de sa composition en tons éteints, cette toile annonce la doctrine puriste. L’architecte y verra plus tard une prémonition du toit-terrasse de la Cité radieuse de Marseille.

Le titre de la revue (L’Esprit nouveau) renvoyait à une conférence prononcée par Guillaume Apollinaire en 1917, « L’esprit nouveau et les poètes » – un numéro entier lui sera d’ailleurs consacré en 1924. Son sous-titre peut surprendre : « Revue internationale illustrée de l’activité contemporaine ». En effet, si Le Corbusier signait dans chaque numéro un article sur l’architecture, bien d’autres sujets étaient abordés : les arts bien sûr, mais aussi l’économie, les mathématiques, la philosophie, etc. L’Esprit nouveau connut, jusqu’à sa dissolution en 1925, vingt-huit copieuses livraisons. La plupart des articles de Le Corbusier furent repris dans des livres qui deviendront incontournables. Le plus célèbre d’entre eux, Vers une architecture (1923), montre l’aptitude de son auteur à manier le verbe et l’image. Il abonde en formules qui marqueront durablement les esprits, comme « l’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière » ou, sur un mode délibérément provocateur, « la maison est une machine à habiter ».

La consécration médiatique de L’Esprit nouveau fut atteinte en 1925 avec la réalisation, pour l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels, du pavillon de l’Esprit nouveau. Il s’agit d’une cellule d’un principe d’habitat collectif à quoi Le Corbusier travaillait depuis le début des années 1920, l’immeuble-villas. Ce prototype est complété par un espace d’exposition où sont présentés un plan d’urbanisme théorique, une ville contemporaine de 3 millions d’habitants, et sa déclinaison parisienne, le plan Voisin. Le nom de ce projet délibérément polémique (il propose de raser le centre de Paris) est celui de la célèbre firme d’avions et d’automobiles – deux produits de la civilisation machiniste que Le Corbusier n’avait de cesse de célébrer. L’appartement en duplex est « équipé » (l’architecte réfutait l’idée d’« ameublement ») de sièges, tables et rangements « standard », et orné d’œuvres des directeurs de la revue, mais aussi de leurs amis : Fernand Léger, Jacques Lipchitz, Juan Gris… Une ligne de meubles tubulaires, encore très prisée aujourd’hui, sera cependant conçue en 1929, en collaboration avec son cousin architecte et associé Pierre Jeanneret et la designer Charlotte Perriand.

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Les années 1920-1930 furent pour Le Corbusier une période d’intense créativité architecturale, avec près de vingt villas réalisées pour la plupart dans Paris et la région parisienne. Trois villas puristes (dites aussi « blanches ») marquent cette période : la villa La Roche-Jeanneret à Auteuil (1923-1925), la villa Stein-de Monzie à Garches (1926-1928) et la villa Savoye à Poissy (1928-1931). Cette dernière devint l’incarnation du style dit « international » auquel fut consacrée une importante exposition au Museum of Modern Art de New York en 1932, où une maquette de ladite villa fut présentée.

Toutes trois incarnent les « cinq points d’une architecture nouvelle », doctrine établie en 1927 et régulièrement exprimée par Le Corbusier. Il s’agit des pilotis, toiture-terrasse, fenêtre en longueur, façade libre et plan libre, tous découlant de l’usage du béton armé. Les villas déploient également le concept de « promenade architecturale » : contrairement à un bâtiment de style classique, l’architecture moderne ne peut s’appréhender qu’en marchant, en diversifiant dans le temps les points de vue ; la rampe (alternative à l’escalier) est à cet égard un dispositif spatial privilégié.

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Écrit par

  • : chercheuse au Laboratoire architecture culture société, UMR AUSSER CNRS de l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais

Classification

Média

Le Corbusier - crédits : Walter Limot/ AKG-images

Le Corbusier

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    1923-1924 Résidence-atelier Ozenfant, 53, avenue Reille, XIVe arrondissement, Paris.

    1923-1925 Villa La Roche, 10, square du Docteur-Blanche, XVIe arrondissement, Paris.

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