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LE CORBUSIER (1887-1965)

L’ouverture sur de nouveaux horizons : « objets à réaction poétique » et territoires

À la fin des années 1920, de nouvelles figures font leur apparition dans les tableaux de Le Corbusier : os de boucherie, coquillages roulés par la mer, cordages, etc. Le peintre attribue à ces « objets à réaction poétique » un statut créatif particulier. Leurs lignes courbes et irrégulières trouveront un écho dans son travail d’architecte, avec l’avènement de matériaux rustiques bruts (pierres, bois non traité) et de dispositifs spatiaux traditionnels. L’atelier du 35, rue de Sèvres, qui a abrité toute la carrière parisienne de Le Corbusier, ne fut pas épargné par la crise économique des années 1930. Sa participation à de prestigieux concours internationaux se solda par de cuisants échecs, notamment au palais de la Société des Nations à Genève (1926-1929) et au palais des Soviets à Moscou (1931) qui se distinguait par une spectaculaire structure en arche et une gestion virtuose des flux de personnes. Quelques équipements publics virent cependant le jour : la cité-refuge de l’Armée du salut (Paris, 1929-1933), à laquelle une récente réhabilitation exemplaire a redonné son lustre ; le pavillon suisse à la Cité universitaire (Paris, 1929-1933) ; deux immeubles d’habitation collective – un à Genève (immeuble Clarté, 1930-1932), à la façade entièrement vitrée, et un à Paris (en limite de Boulogne-sur-Seine, 1931-1934). Le Corbusier vécut et peignit dans l’atelier-appartement du dernier étage qu’il s’y était réservé. Propriété de la fondation Le Corbusier, qui gère son œuvre et ses archives, elle est ouverte aux visites, tout comme la villa La Roche… et d’autres édifices à l’origine privés et publics.

En l’absence de commandes concrètes, les années 1930 furent fertiles en projets d’urbanisme : Paris, Buenos Aires, Anvers, Alger, etc. L’Exposition universelle de 1937 fut également l’occasion de plusieurs projets (tous à l’initiative de Le Corbusier) pour la capitale. Seul celui de « musée à croissance illimitée », édifice éclairé zénithalement dont le plan se déploie à l’infini comme une coquille d’escargot, sera réalisé, mais bien plus tard, dans les années 1950, en Inde et au Japon.

Les années de guerre furent consacrées à l’écriture (avec la publication de plusieurs livres), à la peinture et à la réflexion sur l’aménagement du territoire, avec le concept formulé dans LesTrois Établissements humains (livre paru en 1945 et repris en 1959) : « ville radioconcentrique des échanges », « cité linéaire industrielle », « unité d’exploitation agricole ». Le Corbusier le développera jusqu’à la fin de sa vie, notamment avec le système de circulation hiérarchisée des « 7 V » qu’il mettra en œuvre en Inde. Ce nouveau modèle représente une continuation de la théorie publiée en 1943 sous le titre de La Charte d’Athènes, mais élaborée dès 1933 lors du IVe Congrès internationaux d’architecture moderne (C.I.A.M., cofondés en 1928 par Le Corbusier, dans lesquels il s’investira avec énergie jusqu’à leur dissolution en 1959). Cette vision d’une ville dominée par quatre fonctions – « habiter, travailler, se cultiver le corps et l’esprit, circuler » –, qui suppose un monde fortement hiérarchisé et planifié, sera sévèrement critiquée dans les années 1970 et associée, à tort, aux grands ensembles de l’après-guerre.

Aujourd'hui, alors qu’une foi sans partage dans le progrès a délaissé notre société, une telle vision semble terriblement autoritaire. Pourtant, il faut souligner que, dans l'entre-deux-guerres et l'immédiat après-guerre, l'utopie de l'homme nouveau était à l'ordre du jour de tous les architectes et urbanistes, quitte à sous-estimer les aspirations plus sensibles de ceux qu'on appelait alors plus volontiers[...]

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Écrit par

  • : chercheuse au Laboratoire architecture culture société, UMR AUSSER CNRS de l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Malaquais

Classification

Pour citer cet article

Guillemette MOREL JOURNEL. LE CORBUSIER (1887-1965) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Le Corbusier - crédits : Walter Limot/ AKG-images

Le Corbusier

Autres références

  • CHAISE LONGUE "B306" (Le Corbusier, P. Jeanneret, C. Perriand)

    • Écrit par Simon TEXIER
    • 155 mots

    Avec la chaise longue « B306 », l'architecte Le Corbusier (1887-1965) et ses collaborateurs (Charlotte Perriand est responsable du projet) ont créé l'un des prototypes du meuble moderne et ergonomique. Cette réalisation s'inscrit dans la réflexion de Le Corbusier sur un art décoratif fonctionnel,...

  • LE CORBUSIER : VILLAS - (repères chronologiques)

    • Écrit par Simon TEXIER
    • 111 mots

    1914-1918 Principe constructif et maison Domino (étude théorique).

    1920-1922 Maison Citrohan (étude théorique).

    1923-1924 Résidence-atelier Ozenfant, 53, avenue Reille, XIVe arrondissement, Paris.

    1923-1925 Villa La Roche, 10, square du Docteur-Blanche, XVIe arrondissement, Paris.

    1926-1928...

  • LE CORBUSIER : VILLA SAVOYE (Poissy)

    • Écrit par Simon TEXIER
    • 206 mots

    Construite au sommet d'une colline, à Poissy, à l'ouest de Paris, la villa Les Heures claires, dite villa Savoye, constitue un premier aboutissement dans les recherches de Le Corbusier (1887-1965) sur le thème de la villa. Elle clôt également sa période puriste. L'architecte y applique...

  • AALTO ALVAR (1898-1976)

    • Écrit par Gilles RAGOT
    • 2 590 mots
    • 2 médias
    La polémique suscitée par les propositions de Le Corbusier pour la S.D.N. d'une part, l'ouverture de la cité expérimentale du Weissenhoff de Stuttgart (1927), d'autre part, ébranlent les convictions architecturales du jeune praticien, déjà sensibilisé à ces nouvelles tendances par le premier article...
  • ANDO TADAO (1941- )

    • Écrit par François CHASLIN
    • 1 885 mots
    • 1 média
    ...certaines interrogations dont ses premières œuvres seront imprégnées), autodidacte, il a pratiqué la boxe professionnelle et voyagé durant quelques années. C'est par hasard, dit-on, en achetant un ouvrage d'occasion consacré à Le Corbusier, qu'il se serait initié à l'architecture et qu'il aurait...
  • ARCHITECTES ET INGÉNIEURS (expositions)

    • Écrit par Michel COTTE
    • 1 247 mots

    L'ouvrage d'art et le grand bâtiment public ou industriel prennent place à la frontière de deux cultures, celle des architectes et celle des ingénieurs. Confrontation et complémentarité, affirmation d'autonomie et source mutuelle d'inspiration, l'ambiguïté paraît marquer cette rencontre. Les démarches...

  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Notions essentielles

    • Écrit par Antoine PICON
    • 4 952 mots
    ...de l'architecture en même temps que sa finalité. Il s'agit de sculpter l'espace, de lui donner forme, d'en faire le support d'une émotion incomparable. Comme l'écrit Le Corbusier, il faut que la « machine à habiter » soit en même temps une « machine à émouvoir ». De ses premières villas aux grandes réalisations...
  • Afficher les 52 références

Voir aussi