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MANNHEIM KARL (1893-1947)

Né à Budapest, Mannheim enseigna à l'université de Francfort de 1930 à 1933, puis avec l'avènement du nazisme dut quitter l'Allemagne pour s'installer en Angleterre, où il enseigna à la London School of Economics. Fondateur de l'International Library of Sociology and Social Reconstruction, il fut aussi professeur de sociologie et de philosophie à l'université de Londres. Quelque temps avant sa mort, il se vit offrir la direction de la branche de l'U.N.E.S.C.O. pour l'Europe.

Durant la période allemande de sa carrière, Mannheim se consacra essentiellement à la sociologie de la connaissance, dont il est l'un des fondateurs. Elle atteint chez lui à la dimension d'une théorie générale des relations entre culture et société. Largement influencé par la philosophie idéaliste allemande et par le marxisme, Mannheim pense que la culture est déterminée par la société. Mais alors que pour Marx la relation entre la culture et la société est causale, pour Mannheim, elle est fonctionnelle. Dans Idéologie et Utopie(1929-1931), Mannheim émet l'idée que les points de vue que les groupes ont sur le monde réel s'expliquent en fonction de leur position sociale (Stendart). Ainsi, les groupes dominants ont besoin d'idéologies légitimatrices de leur situation, alors que les groupes dominés produisent des utopies, contestatrices de l'ordre social existant. Il affirme, en opposition à Max Scheler, l'autonomie de l'objet de la connaissance, offrant au sociologue une double approche : extrinsèque, en tant que la connaissance est un pur produit de la réalité sociale, qui est seule « sphère absolue » (Absoluschicht) ; immanente, en tant qu'il existe un contenu intellectuel de la connaissance.

Dans sa conceptualisation de la relation entre culture et société, Mannheim introduit le concept de « style », c'est-à-dire l'identité de structure entre des œuvres particulières qui permet de remonter vers les causes premières (Contribution à la théorie sur l'interprétation de la « Weltanschauung », Beiträge zur Theorie des Weltanschauungsinterpretation, 1923).

Son rationalisme extrême, Mannheim le prolonge dans une sociologie des intellectuels. Pour lui les intellectuels, dont les racines sociales sont peu profondes (formant une « classe flottante », ils sont « pleins d'itinéraires mais sans origine », sont capables de comprendre l'« esprit du temps », et pourraient faire la synthèse des différentes idéologies — fascisme, communisme, libéralisme, conservatisme — pour construire un « monde total » où les forces sociales antagonistes seraient subsumées. Cette vision optimiste est nuancée après l'installation de Mannheim en Angleterre. Mettant l'accent sur les problèmes concrets de son époque, il se préoccupe des mêmes thèmes : les conflits de classes, les conflits d'idéologies, les conflits des groupes politiques, mais perd sa foi en la mission politique des intellectuels (L'homme et la société dans un âge de reconstruction, Mensch und Gesellschaft im Zeitalter des Umbaus, 1935 ; Diagnostic de notre temps, Diagnosis of Our Time : Wartime Essays of a Sociologist, 1950). Les élites peuvent selon lui se classer en deux catégories fonctionnelles : les élites qui visent à l'intégration d'un grand nombre d'individus dans un même corps social et celles qui visent à sublimer les forces psychiques que la société n'épuise pas totalement. Mais l'émergence d'une société de masse implique un certain nombre de bouleversements : accroissement en nombre des élites ; les élites n'ont plus le monopole de la création culturelle ; avec la « démocratisation », la sélection des élites n'est plus aussi rigoureuse, puisque ces dernières doivent s'ouvrir aux classes moyennes et petites-bourgeoises. Ces bouleversements[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'Institut d'études politiques de Paris, diplômé de chinois, sociologue

Classification

Pour citer cet article

François VIEILLESCAZES. MANNHEIM KARL (1893-1947) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONNAISSANCE

    • Écrit par Michaël FOESSEL, Yves GINGRAS, Jean LADRIÈRE
    • 9 106 mots
    • 1 média
    Tout comme Scheler critique Marx pour avoir limité l'influence sociale à la simple position dans la structure économique de production, Karl Mannheim propose de dépasser ces deux auteurs en généralisant la notion d'idéologie et en abandonnant le caractère absolu des trois formes de connaissance...
  • GÉNÉRATION

    • Écrit par Claudine ATTIAS-DONFUT
    • 1 302 mots

    La notion de génération est une catégorie qui procède non pas de données biologiques, mais de processus sociaux et temporels. Les naissances et décès continuels, par lesquels la société se renouvelle, ne forment pas en eux-mêmes des générations. Celles-ci sont des abstractions, des produits...

  • IDÉOLOGIE

    • Écrit par Joseph GABEL
    • 6 777 mots
    On peut enfin – simplifiant quelque peu la typologie de Karl Mannheim – distinguer le concept partiel et particulier (polémique) de l'idéologie, de son concept total et général (structurel). Le premier assume consciemment l'égocentrisme normal de la vie politique : l'idéologie,...
  • NATION - Nation et idéologie

    • Écrit par Maxime RODINSON
    • 7 481 mots
    ...idéologique à une conscience d'unité relative. Sous cet aspect, elles se rangent dans les idéologies « idéologiques » au sens strict de la classification de Karl Mannheim, c'est-à-dire qu'elles ne font que transcender la situation réelle du groupe en lui donnant un aspect embelli, mystifié, mythifié, sans qu'on...

Voir aussi