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BALTRUŠAITIS JURGIS (1903-1988)

Avec Henri Focillon (qui fut son maître et son ami), avec Erwin Panofsky et quelques rares autres, Jurgis Baltrušaitis est certainement l'un des cinq ou six historiens d'art qui marquèrent le xxe siècle. Né en 1903, fils d'un grand poète et diplomate lituanien proche de Gordon Craig, ayant (pendant un temps, bref) eu pour précepteur Boris Pasternak, lisant et parlant anglais, allemand, russe, lituanien, il écrivait en français. Après avoir fait ses études à la Sorbonne et enseigné, un moment, à l'université de Kaunas (Lituanie), il vécut le plus souvent à Paris. Ses ouvrages ont été traduits en allemand, anglais, italien, espagnol, roumain, japonais. Plusieurs expositions importantes (concernant, en particulier, les jardins, les anamorphoses, les physiognomonies animales) ont trouvé leur origine dans ses travaux. Si lui-même considérait les théories psychanalytiques avec une méfiance un peu amusée, bien des psychanalystes se sont intéressés à ses ouvrages. Jacques Lacan, en février 1964, citait Anamorphoses (1955) dans son séminaire et faisait circuler parmi les analystes une reproduction des Ambassadeurs (1533) d'Holbein, où est peinte l'anamorphose d'une tête de mort. Érudit minutieux, Jurgis Baltrušaitis refuse à la fois les théories sans analyses concrètes et les catalogues sans idées. On se souvient de la phrase de Baudelaire : « Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion). » Baltrušaitis, sans doute, ne cherche pas à « glorifier » ce culte. Mais il se propose d'en faire l'histoire, étudiant les métamorphoses des formes, leurs inventions, leurs disparitions, résurgences et déplacements. Dans le sillage de l'œuvre de Focillon, il ajoute de nouveaux chapitres à l'étude de « la vie des formes ». Mais, plus qu'Henri Focillon, sans doute, il insiste sur les marges de cette vie des formes ; sur les déformations ; sur les égarements de l'esprit, de l'œil et de la main ; sur les jeux savants et les folies ; sur les fables, fictions et mythes qui interviennent parfois à l'intérieur du travail des constructeurs de cathédrales, des sculpteurs, des peintres, des créateurs de jardins.

Le déplacement des formes

On peut regrouper les recherches de Jurgis Baltrušaitis en deux séries, d'ailleurs liées entre elles de façon subtile. Un premier groupe d'ouvrages se définit par l'époque des objets et formes étudiés : le Moyen Âge. La Stylistique ornementale dans la sculpture romane (1931 ; réédité sous une forme profondément remaniée et sous le titre Formations, déformations, 1986) analyse les sculptures du xie et du xiiie siècle, et explique comment les formes sculptées naissent les unes des autres en des jeux de transformation. Le livre anticipe ainsi les travaux de Claude Lévi-Strauss sur les mythes. Il démontre également comment l'imaginaire individuel des sculpteurs, apparemment libre et parfois échevelé, obéit à des contraintes géométriques, architecturales et ornementales. Les liens entre formes orientales et formes occidentales, les déplacements des formes et des légendes, leurs voyages et errances sont mis en évidence dans d'autres livres : Étude sur l'art médiéval en Arménie et en Géorgie (1929), Art sumérien, art roman(1934), Le Problème de l'ogive en Arménie (1936), L'Église cloisonnée (1941), Le Moyen Âge fantastique. Antiquités et exotismes dans l'art gothique(1955). En 1960, Réveils et prodiges décrit la face monstrueuse et tourmentée d'un univers gothique dont certains historiens soulignent uniquement les aspects de recueillement, d'harmonie et le souci d'affirmer les proportions humaines. Ce livre montre comment, en particulier, les formes monstrueuses se réfugient, à certains moments, dans des marges, avant de se réveiller, de resurgir, de conquérir de nouveaux[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie de l'art à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art, écrivain

Classification

Pour citer cet article

Gilbert LASCAULT. BALTRUŠAITIS JURGIS (1903-1988) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANAMORPHOSES OU THAUMATURGUS OPTICUS - LES PERSPECTIVES DÉPRAVÉES, Jurgis Baltrušaitis - Fiche de lecture

    • Écrit par Annamaria DUCCI
    • 1 387 mots

    Le livre paru en 1955 sous le titre d'Anamorphoses ou perspectives curieuses, a été suivi de deux éditions révisées en 1969 et en 1984, la dernière augmentée de chapitres portant sur les miroirs et sur l'interprétation des anamorphoses au xxe siècle. L'édition de 1984, à laquelle...

  • ANAMORPHOSE, art

    • Écrit par Marie-José MONDZAIN-BAUDINET
    • 983 mots
    • 1 média

    Platon disait de la science qu'elle était fille de l'étonnement. Pour le peintre d'anamorphoses, elle devient la mère de l'illusion, à moins que, comme on va le voir, elle ne se charge obliquement de nous dire la vérité. « Maintes fois et avec non moins de plaisir que d'émerveillement, on regarde...

  • CARICATURE

    • Écrit par Marc THIVOLET
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    ...oreilles de porc et un cœur de lion, les mains doivent être représentées comme des griffes d'aigle et de griffon, les pieds comme des pattes d'ours. » J. Baltrušaitis reprend ainsi le commentaire de Reinmar : « Les yeux d'autruche regardent aimablement, les porcs ont l'ouïe la plus fine de tous les animaux,...
  • IMAGINAIRE ET IMAGINATION

    • Écrit par Pierre KAUFMANN
    • 12 565 mots
    • 1 média
    ...production fantastique jalonne le labyrinthe. En des travaux justement célèbres, plus spécialement consacrés aux Anamorphoses ou Perspectives curieuses, Baltrušaitis en a marqué l'importance dans l'art et la pensée des xvie et xviie siècles : « La perspective, rappelle-t-il, est généralement...
  • LITUANIE

    • Écrit par Céline BAYOU, Suzanne CHAMPONNOIS, Universalis, D.A. SEALEY
    • 8 113 mots
    • 4 médias
    V. Kṛeṿe-Mickievičius (1882-1954), romancier et dramaturge, passait pour le plus grand écrivain lituanien, l'apôtre de l'unité nationale. J. Baltrušaitis (1873-1944) eut une réputation de poète lyrique aussi bien en Russie qu'en Lituanie.

Voir aussi