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BALTRUŠAITIS JURGIS (1903-1988)

Survivances et réveils

De bien des manières, les livres de Jurgis Baltrušaitis donnent à penser : sur les inventions, transformations et voyages des formes ; sur les rapports entre une forme et l'espace architectural où elle s'inscrit ; sur les rapports entre l'imaginaire d'un créateur et les contraintes ornementales auxquelles il obéit, peut-être sans s'en rendre clairement compte ; sur les avantages obtenus par l'Occident et par l'Orient grâce aux circulations multiples et variées d'objets, de fables, de connaissances sur les liens complexes de la raison et du délire ; sur l'importance (trop souvent négligée) du décoratif dans l'invention des formes. En même temps, ces ouvrages ressuscitent des textes oubliés, des sculptures auparavant mal vues, les dessins que d'autres ont regardés trop vite.

On réfléchira par exemple, à partir de Réveils et prodiges, sur la complexité de l'histoire des formes. Les survivances s'y mêlent aux réveils et aux surgissements. Les inégalités des rythmes historiques interviennent ; et ce qui peut, à un certain moment, apparaître comme un archaïsme anticipe un retour plus général à des techniques ou à des formes que l'on croyait définitivement rejetées. Opposé globalement au monde roman, le gothique en favorise pourtant des renaissances partielles. Mais ce qui revient, bien sûr, revient modifié : la renaissance d'un fonds carolingien dans certaines œuvres gothiques ne permet pas de parler d'un art carolingien anachronique. Jurgis Baltrušaitis ne rejette pas, semble-t-il, les périodes définies par l'histoire de l'art, mais il montre les diversités, les richesses, les ambiguïtés de chaque période, les courants souterrains qui la traversent, les marges et « réserves » où se réfugient les formes momentanément méprisées. De même, Baltrušaitis ne semble pas refuser la notion d'influence. Mais il met en évidence la complexité des jeux d'influences, lorsqu'un conte arabe, une histoire anglaise sur les supplices de l'enfer, une légende bouddhique et diverses images permettent, ensemble, de mieux comprendre certaines particularités d'une Tentation de saint Antoine.

On notera encore que Jurgis Baltrušaitis détestait la platitude du style. Celle-ci n'est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour écrire une histoire rigoureuse des formes. Il a toujours été soucieux à la fois de l'exactitude des mots employés et du rythme, du « chant » de ses phrases. Peut-être se racontera-t-on enfin des fables autour de ce penseur indépendant et inclassable. On lui inventera peut-être des titres : prince des images à secret, duc des anamorphoses, sorcier des prismes et des miroirs courbes, baron des égarements de l'œil, comte des réveils et prodiges...

— Gilbert LASCAULT

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie de l'art à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art, écrivain

Classification

Pour citer cet article

Gilbert LASCAULT. BALTRUŠAITIS JURGIS (1903-1988) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANAMORPHOSES OU THAUMATURGUS OPTICUS - LES PERSPECTIVES DÉPRAVÉES, Jurgis Baltrušaitis - Fiche de lecture

    • Écrit par Annamaria DUCCI
    • 1 387 mots

    Le livre paru en 1955 sous le titre d'Anamorphoses ou perspectives curieuses, a été suivi de deux éditions révisées en 1969 et en 1984, la dernière augmentée de chapitres portant sur les miroirs et sur l'interprétation des anamorphoses au xxe siècle. L'édition de 1984, à laquelle...

  • ANAMORPHOSE, art

    • Écrit par Marie-José MONDZAIN-BAUDINET
    • 983 mots
    • 1 média

    Platon disait de la science qu'elle était fille de l'étonnement. Pour le peintre d'anamorphoses, elle devient la mère de l'illusion, à moins que, comme on va le voir, elle ne se charge obliquement de nous dire la vérité. « Maintes fois et avec non moins de plaisir que d'émerveillement, on regarde...

  • CARICATURE

    • Écrit par Marc THIVOLET
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    ...oreilles de porc et un cœur de lion, les mains doivent être représentées comme des griffes d'aigle et de griffon, les pieds comme des pattes d'ours. » J. Baltrušaitis reprend ainsi le commentaire de Reinmar : « Les yeux d'autruche regardent aimablement, les porcs ont l'ouïe la plus fine de tous les animaux,...
  • IMAGINAIRE ET IMAGINATION

    • Écrit par Pierre KAUFMANN
    • 12 565 mots
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    ...production fantastique jalonne le labyrinthe. En des travaux justement célèbres, plus spécialement consacrés aux Anamorphoses ou Perspectives curieuses, Baltrušaitis en a marqué l'importance dans l'art et la pensée des xvie et xviie siècles : « La perspective, rappelle-t-il, est généralement...
  • LITUANIE

    • Écrit par Céline BAYOU, Suzanne CHAMPONNOIS, Universalis, D.A. SEALEY
    • 8 113 mots
    • 4 médias
    V. Kṛeṿe-Mickievičius (1882-1954), romancier et dramaturge, passait pour le plus grand écrivain lituanien, l'apôtre de l'unité nationale. J. Baltrušaitis (1873-1944) eut une réputation de poète lyrique aussi bien en Russie qu'en Lituanie.

Voir aussi